Justice pour les enfants
Jean-Pierre ROSENCZVEIG, éditions Robert Laffont, 1999, 415 p.
« Ne fais pas celui qui est débordé, tu adores cela », lui affirme sa femme. Et, c’est vrai que, pour qui connaît la boulimie de Jean-Pierre Rosenczveig en matière d’engagement associatif, la lecture de son dernier ouvrage (1) ne laissera pas d’étonner. Voilà un homme présent régulièrement sur les ondes de la radio et de la télévision, haranguant tout aussi régulièrement à la tribune des colloques et des congrès, assurant des formations à travers toute la France avec son compère Verdier, présidant une myriade d’associations et qui trouve encore le temps d’exercer le métier de Juge des enfants. Et à en croire le livre qu’il vient de faire paraître aux éditions Robert Laffont, il l’exerce avec cette passion qui est propre à ces quelques dizaines de magistrats (sur 350 en place) qui restent en poste au-delà des deux, trois ans obligatoires (avant de demander une mutation). Au cours des années, Jean-Pierre Rosenczveig n’a rien perdu de sa fougue et de son enthousiasme. Il déborde d’humanité et de convictions qu’il nous fait partager au travers d’un récit passionnant et attachant. Nous le suivons, pas à pas, tout au long d’une semaine de son travail. Il nous fait ainsi découvrir les coulisses de la justice des mineurs, avec ses moments de tension, d’émotion mais aussi de gravité : les audiences de cabinet tout comme les séances du tribunal des enfants sont l’occasion d’entrer en relation avec la détresse et l’ignominie, avec l’acharnement du malheur et la cruauté, avec la compassion et la sévérité. Au fil des pages, on rencontre des gamins en difficulté et des gamins délinquants (ce sont parfois les mêmes), des parents mobilisés pour sortir leur enfant du mauvais pas dans lequel il s’est engagé et des parents démissionnaires ou absents, des situations gratifiantes et des situations désespérées. De quoi, en somme, sortir de l’approche manichéenne qui a trop souvent court dans l’opinion publique et qui prétend à une justice laxiste et à des jeunes maintenus dans la toute-puissance par des juges impuissants. Oui, Jean-Pierre Rosenczveig est tout autant capable de se mobiliser, en faisant jouer son réseau de relations pour sortir un jeune en proie aux pires difficultés, que d’incarcérer celui pour qui seul un arrêt d’agir ferme et résolu peut mettre un terme momentané à la dérive qu’il a empruntée et qui s’avère dangereuse tant pour lui que pour la société. C’est qu’ils sont nombreux à demander au juge des enfants de faire des miracles : « les parents attendent que je joue au « super-papa » et que je mette leur enfant au pas, le travailleur social que je remonte les bretelles aux parents, l’Education Nationale que je la décharge d’un jeune trop dur, le parquet que je protège la société des agissements d’un délinquant. » (p.23) L’auteur nous plonge au cœur du Tribunal de Bobigny, véritable forteresse placée aux premières lignes de l’un des départements les plus exposés en matière de délinquance : le Seine Saint Denis. Jean-Pierre Rosenczveig nous présente au passage des personnages qui seront familiers au lecteur du Journal du droit des jeune, tel Bernard Bobillot, éducateur du SEAT, qu’il désigne comme son vieux complice ou encore Martine Bouillon, substitut du procureur, qu’il couvre –à juste raison semble-t-il- d’éloges (son ouvrage « Viol d’anges » lui avait valu en septembre 1997, dans ces colonnes une critique au vitriol). Mais, ce récit est aussi l’occasion pour l’auteur de multiples plaidoiries sur des thèmes qui lui sont chers : que ce soit le droit à la connaissance de ses origines (entraînant la suppression notamment de l’accouchement sous x) ou la défense et l’illustration de l’expérience du type « cheval pour tous » distinguée des dérives de son responsable principal incarcéré depuis le mois de mars 1999. Quant à la pédophilie, l’auteur dénonce la banalisation qui a pu se développer à une certaine époque et ce, au nom d’une soit-disante sexualité différente. S’il rappelle avec fermeté que l’enfant a droit à l’amour non à ce qu’on lui fasse l’amour, il aborde avec beaucoup d’humour la peur qui s’est aussi emparé de certains adultes. Et de rapporter l’anecdote hilarante qui lui est arrivée en plein été. Cédant à une légitime gourmandise, notre juge s’achète un lot de trois glaces. Mangeant les deux premières, il va pour donner la troisième à un enfant qu’il croise. Il s’abstient tout d’abord, de peur qu’on puisse l’accuser d’avances pédophiles. Se raisonnant, il décide néanmoins de suivre son premier réflexe, refusant ainsi de tomber dans la psychose qu’on voit fleurir çà et là. Avec la forte personnalité qu’on lui connaît, Jean-Pierre Rosenczveig sait faire avancer les dossiers tant dans les couloirs du ministère qu’il a fréquenté en tant que conseiller au début des années 80, qu’à la tête de l’Institut de l’Enfant et de la Famille, ensuite, puis comme Président du Tribunal pour enfant de Bobigny aujourd’hui, et pourquoi pas demain, peut-être, comme Médiateur de l’enfance, poste qui sera sans doute à pourvoir dans les mois à venir. Toute cette énergie se nourrit à une volonté tenace et à un engagement résolue qu’on retrouve dans le plaisir d’un certain pouvoir : « j’éprouve toujours autant de satisfaction à signer du courrier, surtout lorsqu’il est porteur de décisions. J’ai l’impression de donner du poids aux mots et de faire un peu avancer les choses. En moyenne, je ne prends pas moins de quarante décisions par jour. » (p.135) Mais, convenons-en, cette ambition est là, mise au service d’une noble cause : celle des enfants.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°529 ■ 27/04/2000