Punir. Une passion contemporaine
FASSIN Didier, Ed. Seuil, 2017, 203 p.
L’inflation s’est emparée d’une France qui a vu, en plus de 60 ans, sa démographie carcérale se multiplier par 3,5. Plusieurs explications sont possibles : une sensibilité plus forte aux illégalismes avec un seuil de tolérance plus bas, mais aussi un renforcement du discours politique sécuritaire permettant de dissimuler les faibles performances en matière d’égalité sociale. Résultat : on enferme plus souvent, plus longtemps pour les mêmes infractions. S’il est vrai que toutes les sociétés ont toujours puni, en allant au-delà des principes moraux qu’elle se fixait, il en va de même pour notre justice contemporaine qui bafoue allègrement les normes qu’elle s’est donnée. Ainsi, toute transgression n’appelle pas un châtiment (comme le montre la dépénalisation croissante du droit des affaires). Un châtiment peut aller bien au-delà de la sanction de la seule transgression (quand elle entraîne dans la misère la famille du coupable). Il n’y a pas toujours proportionnalité entre la gravité de la transgression et la sévérité de la sanction (la situation sociale du mis en cause pouvant peser sur le quantum de la peine). Pendant longtemps, l’exécution de la peine fut dissociée de l’auteur de l’infraction. Il s’agissait alors de compenser un dommage. Sous l’effet de la rédemption prônée par la civilisation chrétienne, le rachat de l’infraction ne passe plus par la réparation de la victime qui a subi un préjudice et l’économie affective de la dette, mais par l’infliction d’une souffrance seule à même d’expier la faute commise, la vengeance devenant le cœur de l’économie morale du châtiment. La peine doit être appliquée, non parce qu’une nuisance a été commise, mais parce qu’un acte répréhensible a été produit. On n’est pas condamné parce qu’on est coupable. On est coupable parce qu’on a été condamné.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1213 ■ 21/09/2017