Juger

PORTELLI Serge, Ed. de l’Atelier, 2011, 188 p.

Pendant longtemps, les juges se sont confondus avec le pouvoir, instrumentalisés par le prince du moment, toujours magnanimes avec les puissants et implacables avec les faibles. Chaque changement de régime entraînait son lot de révocations de magistrats suspects d’une trop grande fidélité au gouvernement précédent. Serge Portelli est vice président du tribunal de grande instance de Paris. Ce qui ne l’empêche pas de stigmatiser une fonction dont la veulerie et la servilité atteignirent des sommets, sous Vichy. Tous les magistrats, à une exception près, prêtèrent serment à Pétain et, sans état d’âme, firent fonctionner les sections spéciales et appliquèrent les lois anti-juives. L’épuration en révoquera 363, surtout dans la haute hiérarchie. Tout aurait pu recommencer comme avant. Mais, un esprit d’indépendance va s’imposer progressivement, en s’appuyant sur les valeurs des droits humains que l’on retrouve dans les Constitutions de 1945 et de 1958 ou dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Cette nouvelle culture sera confirmée par des instances qui veillent sur les dérives possibles, comme le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l’homme ou la Cour pénale internationale. Ainsi, cette décision de la CEDH, datant de 2010, qui récuse au parquet français, sous tutelle du gouvernement, le statut d’autorité judiciaire. Mais, pour Serge Portelli, les acquis obtenus depuis la libération sont en train d’être grignotés par une idéologie sécuritaire fondée sur l’incantation démagogique, le populisme exalté et une martyrologie impudique. Le poids du mythe de la tolérance zéro et l’envahissement du discours victimaire pèsent sur la justice, exigeant d’elle, qu’elle repère le plus tôt possible la délinquance et qu’elle la neutralise le plus vite. Des grilles de critères sont élaborées, pour établir un diagnostic prédictif et une détection précoce. Le management par objectif, importé de l’industrie, entend garantir l’efficacité de la répression systématisée. Le chiffre, la performance et la rentabilité l’emportent sur le temps de l’audience qui permet la confrontation et la rencontre humaine. Les peines planchers concourent à automatiser les verdicts, la comparution immédiate à accélérer les procédures, le plaider coupable à supprimer le procès et la visioconférence à abolir le face à face. Serge Portelli rappelle les règles du jeu auquel est confronté tout magistrat : approximation, erreur, imperfection. C’est justement, parce que la justice ne peut être que bancale, partiale, inégale et incertaine, qu’il faut préserver la rencontre humaine et l’étude de la personnalité de l’infracteur. Prenant comme exemple le juge des enfants et le juge d’application des peines, il revendique une justice humaniste qui prenne le temps de juger des hommes et non de statuer sur des dossiers.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1087 ■ 20/12/2012