Assistance et République

Colette BEC, les Editions de l’Atelier, 1994, 254 p.

L’édifice de l’aide sociale que nous connaissons aujourd’hui a commencé à être édifié il y a un peu plus de 100 ans. Pendant longtemps, le soutien aux nécessiteux a relevé d’une charité à l’initiative d’un vaste secteur privé confidentiel. L’Etat était alors surtout perçu comme agent répressif: il déclenchait rejet et méfiance. De fait, il n’exerçait aucun contrôle sur la plupart des établissements fonctionnant dans la plus grande anarchie. Certaines régions en étaient d’ailleurs suréquipés quand d’autres souffraient de la plus grande pénurie. 9.000 seulement des 35.000 communes étaient dotées de bureaux de bienfaisance. L’instauration de la troisième République en 1871 ouvre un cours nouveau. Né dans la tourmente de la guerre, le nouveau régime vit surtout dans la hantise de la révolution sociale que fait planer l’expérience de la Commune de Paris écrasée dans le sang. La politique assistancielle mise en place progressivement tout comme la reconnaissance des

droits ouvriers visent directement alors à instaurer un statut quo social. En 1886, est créée la Direction de l’Assistance Publique répartie en 4 bureaux (celui chargé de l’hygiène et de la santé publique regroupe 7 employés !). Deux ans plus tard est constitué le Conseil Supérieur de l’Assistance Publique véritable instance de propositions et de mise au point de projets parlementaires. Ces deux structures constituent la véritable matrice des grandes lois assistancielle qui feront « l’honneur de la troisième République »: Aide Médicale Gratuite (1893), Service des enfants assistés (1904), assistance aux vieillards, infirmes et incurables (1905) ...

Alors que dans le même temps, l’Etat Républicain puis Radical se déchaîne contre les congrégations dans le domaine scolaire, il établit une collaboration avec le secteur privé charitable qui finit par accepter la soumission à une autre loi que divine. S’instaure alors un véritable concordat social.

L’assistance se sépare de la charité pour être reliée à l’intérêt général. La valeur de référence reste bien le travail. Les pauvres sont séparés entre les vagabonds et les mendiants d’un côté considérés comme des parasites (et contre qui sera votée l’ignoble loi sur la relégation en 1885), et de l’autre les travailleurs momentanément exclus de moyens de subsistance. Pour être secourable, il faut avoir une relation établie avec un salariat passé (pour les vieillards), présent (pour les chômeurs) ou futur (enfant). L’assistance est alors une dette, un prêt ou un placement effectués en vue d’un pacte social.

Il faudra attendre l’entre-deux-guerres pour que cette assistance laisse la place aux principes de l’assurance et de la prévention qui triompheront à la libération avec le système de sécurité sociale.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°317 ■ 31/07/1995