Etat de violence
Julien DRAY, Editions 1, 1999, 217 p.
Voilà un ouvrage qui affirme un certain nombre de vérités. Pourtant, la pertinence de certains propos, si elle est convaincante, n’en apparaît pas moins superficielle. Cela est dû à la qualité de son auteur : celui-ci est un orateur de valeur. Mais ce n’est pas n’importe quel orateur. C’est un tribun politique. En tant que tel, il a quelque chose à vendre. Les faits qu’il présente et les démonstrations qu’il avance sont là pour justifier un programme de société qui est celui de son courant politique : la gauche du parti socialiste. Après tout, pourquoi pas ? On ne va pas attendre d’un homme politique qu’il fasse un traité culinaire (encore qu’en matière de cuisine, certains s’y connaissent !). Sauf qu’ici, le ton est plutôt à la harangue de tribune de meeting qu’à l’explication d’un sociologue soucieux de son argumentation. Fort de cet avertissement, le lecteur trouvera un chapitre très intéressant sur l’Amérique sécuritaire que le député de l’Essonne est allé visiter sur place. Dénonçant la ségrégation qui accompagne dans ce pays le tout-répression, l’auteur retient néanmoins la volonté politique farouche qui y préside alors que celle-ci manque tant à son avis aux gouvernements français successifs. Puis Julien Dray égrène chapitre après chapitre les différents secteurs de la société française gangrenés par la violence. C’est le collège transformé « en usine à fabriquer de l’échec scolaire » (p.51). C’est le cercle de famille qui s’est changé « en parallèles solitaires qui suivent leur trajectoire propre et se rejoignent rarement » (p.70). C’est encore les banlieues devenues des impasses pour les générations qui s’y succèdent et où les dernières générations n’ont plus comme seule ressource que de sortir les armes. C’est le lien social qui est supplanté par le rapport de force basé sur la brutalité. C’est une police partagée entre un manque flagrant de moyens et une course aux arrestations dont dépendra la promotion individuelle etc … Au passage, Julien Dray appelle à l’ouverture d’un débat sur la dangerosité du cannabis sur laquelle il s’interroge et ne prend pas position (sic !). Au total, un ensemble de constats qui sentent un peu le réchauffé et font plus penser à une revue de presse des faits divers qui ont marqué les dernières années qu’à une véritable élaboration innovante. L’auteur se prononce clairement contre l’orientation politique des gouvernements successifs : « la seule réelle voie possible, c’est une modification profonde de l’ordre établi par l’ultra-libéralisme » (p.214). Cela devrait le rendre éminemment sympathique. Pour autant, sa démonstration est peu convaincante. Julien Dray le reconnaît d’ailleurs lui-même : « certains vont croire que, à la fin de ce livre, je suis de nouveau touché par la logorrhée du discours à formule facile ». Finalement, à défaut d’être bon auteur, il est bon critique. Espérons, qu’en tant que député, il soit encore meilleur !
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°508 ■ 18/11/1999