Le livre des justes
Il y a 30 ans, cette rubrique remonte le temps en remettant sur le devant des critiques parue il y a trois décennies…
« Le livre des justes »
Lucien LAZARE, Editions Jean-Claude Lattès,1993, 262 p.
Les faits de collaboration d'un homme, fût-il Président de la République, méritent-ils tant d'attention quand parallèlement, d'authentiques actes de pure solidarité humaine restent dans l'ombre ?
Le livre de Lucien Lazare tente de soulever le voile de l'oubli et de l'indifférence qui depuis trop longtemps recouvre ces hommes et ces femmes qui pendant l'occupation ont risqué déportation et mort (et qui pour certains l'ont payé de leur vie) pour avoir donné l'hospitalité à des enfants ou avoir secouru des malheureux dont le seul crime était d'être de religion juive. Estimés à quelques milliers en France, seuls mille ont été retrouvés et honorés par le "Département des Justes" de Yad Vaschem de Jérusalem.
A une époque où le Gouvernement participe activement à la politique antisémite et où les autorités morales et religieuses se font remarquer par leur silence, leur passivité, voire leur complicité, chaque citoyen exposé aux réalités des persécutions contre les juifs était contraint de trancher sur sa participation personnelle. La quasi-totalité de la population s'est soumise à la norme et a passivement (ou pire activement) "obéi aux ordres".
Pourtant, une poignée s'est rebellée. Rien ne permet de la distinguer du commun des mortels. Mais alors qu'aucune action collective ne fut jamais entreprise (ni guérilla ni sabotage de train ni coup de main...) ni même envisagée pour empêcher la déportation des juifs, eux s'y sont opposés au travers d'actes la plupart du temps improvisés et spontanés de façon prosaïque, quotidienne, banale et désintéressée.
C'est cette receveuse des PTT de St Privat à qui la police demande d'intercepter le courrier d'un pasteur soupçonné de sauver des juifs. Elle prévient l'intéressé et trie avec lui les lettres compromettantes. C'est ce convoi de déportés arrêté en pleine campagne peu loin de Lille et qui peut confier quelques dizaines d'enfants à des cheminots qui les cacheront jusqu'à la fin de la guerre. C'est ce général de St-Vincent, commandant de la région militaire de Lyon, qui refuse l'ordre qui lui est donné de mettre ses troupes à disposition pour aider les opérations de déportation. C'est cette concierge, ce commissaire de police, ces gendarmes qui préviennent des familles et l'imminence des rafles. Ce sont ces quelques prélats (curés, religieuses de couvent, évêques) qui bravant la hiérarchie catholique massivement et religieusement pétainiste et antisémite, sauvent et cachent des juifs.
C'est la communauté protestante -notamment dans le pays camisard- qui mobilise pasteurs et fidèles, parfois même des communautés villageoises entières.
Il ne s'agit pas seulement ici de rendre hommage à des hommes et des femmes qui ont sauvé des dizaines de milliers d'être humains, il y a de cela 50 ans. Après tout, à un moment où les massacres de centaines de milliers de personnes se perpétuent au su et au vu de la communauté internationale, on est tenté de se tourner vers l'actualité de l'horreur (plutôt que vers son passé).
Il s'agit aussi d'honorer un comportement qui rompt avec ses petites lâchetés quotidiennes, celles qui se justifient au nom de la soumission à l'autorité, au nom de l'obéissance aux ordres et consignes de la hiérarchie.
L'exemple de ces "justes" montre que chacun est responsable de ses actes devant sa conscience et les hommes, et doit assumer ses engagements ou non engagements et ne pas chercher d'excuses à ses compromissions.
Et ça, croyez-moi, il n'est pas nécessaire de plonger 50 ans en arrière, mais plutôt dans son propre quotidien. Combien aujourd'hui, mériterait le nom de "Justes".
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°284 ■ 01/12/1994