Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides

Jacques SEMELIN, Seuil, 2006, 491p.

Comprendre les bourreaux et entrer dans leur logique, c’est prendre le risque de leur trouver des circonstances atténuantes et de finir par pardonner leurs crimes. Mais, refuser de les comprendre, c’est admettre leur triomphe posthume, en présumant que l’intelligence à faire le mal serait plus forte que celle à en percer les mystères. Pour autant, « tout se passe comme si plus les chercheurs s’approchent du noyau fondamental de la cruauté humaine, plus ils se trouvent confrontés à une sorte de ‘trou noir’ réfractaire à toute connaissance intellectuelle » (p.22) Tout l’intérêt de ce livre est justement d’explorer cette face obscure de l’âme humaine, au travers de trois épisodes récents : la shoah, la guerre en Yougoslavie et le Rwanda. Première démonstration de l’auteur, même s’il faut bien des détours sinueux  pour que l’idée se transforme en passage à l’acte, aucune société n’est à l’abri de mécanismes génocidaires qui se trouvent à l’état embryonnaire dans les cours de nos écoles et de nos quartiers. Pour déterminer les mécanismes déclencheurs, inutile d’évoquer la misère, la culture, la fatalité historique, pas plus que les antipathies ethniques ou encore une quelconque pathologie psychiatrique. Parmi les ressorts identifiables : le repli sur son identité comme réaction à la perte de repères, la bestialisation de l’autre considéré comme étranger à l’espèce humaine,  la montée de la peur impliquant un besoin de sécurité imaginaire ou réel, authentique ou manipulé, le réveil de souvenirs douloureux à même de provoquer la haine, la stimulation de l’émotion publique comme support à la méfiance, au ressentiment et au désir de vengeance. Trois thématiques se rencontrent fréquemment, qui s’autoalimentent réciproquement : le sentiment de pureté face à l’autre, la peur de la contagion, la conviction qu’il faut se protéger pour survivre. Ni la culture, ni l’éducation ne sont des remparts, notamment quand elles s’emploient à rationaliser intellectuellement et spirituellement la violence. On s’interroge souvent sur la conscience que peuvent avoir des individus commettant un massacre. Il y a en fait une dissonance entre leurs actes et la représentation qu’ils en ont : tuer leur semblable n’est plus considéré comme un crime, mais comme un devoir, une mission ou un réflexe d’autodéfense. Les profils des tueurs et leurs motivations relèvent plus d’une mosaïque que de la simple personnalité perverse ou brutale. Il restera toujours des zones d’ombres réfractaires à toute analyse. Mais, ils ne sont  pas monstrueux en tant que tels, mais en tant qu’ils sont engagés dans une dynamique monstrueuse de meurtre de masse. Pour autant, le génocide n’est pas une fatalité. Comme le montrent de nombreux exemples historiques, entre les bourreaux et leurs victimes, l’intervention des tiers qu’ils soient internes au pays ou à l’extérieur reste essentielle pour perpétuer ou au contraire freiner le développement de la violence.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°893-894 ■ 17/07/2008