La protection sociale sous le régime de Vichy

Sous la direction de Philippe-Jean HESSE & Jean-Pierre LE CROM, Presse universitaire de Rennes, 2001, 382 p.

On connaissait déjà la dette que l’éducation spécialisée pouvait avoir à l’égard du régime Vichy. Voilà un ouvrage qui vient éclairer d’une façon très étonnante l’héritage tout aussi douteux que peut avoir le système de protection sociale de notre pays. En 1928 et 1930, la France se dote, cinquante ans après l’Allemagne et vingt cinq ans après la Grande Bretagne, d’une d’assurance sociale couvrant le risque maladie. En 1945, le plan de Sécurité sociale vient compléter et élargir notablement ce dispositif. Mais que  s’est-il passé entre 1940 et 1944 ? Ces cinq années vont être marquées par un développement privilégié de l’Etat providence : les charges sociales qui représentaient, en 1939, 25% des salaires et 11,4% du revenu nationale passent respectivement à 30% et 14,4%. Non seulement les règles issues de la IIIème  République sont préservées, mais elles s’enrichissent de toute une série de mesures complémentaires. Le 18 novembre 1941, une loi crée l’Institut national d’action sanitaire et social, première initiative au monde d’un organisme chargé de l’action médico-sociale (il se consacrera à rapprocher les services œuvrant dans le même champ et concevra les premiers dispositifs de travail adapté à destination des personnes invalides). En 1941, les caisses d’assurance du monde agricole sont regroupées dans une nouvelle institution : la Mutualité social agricole. C’est toujours en 1941, que naît l’allocation des vieux travailleurs salariés, destinée à apporter un complément de ressources aux plus de 65 ans, n’ayant pas de revenus suffisants et qui sera bientôt servie à plus d’1,5 million de personnes. Le 23 juillet 1942, une loi rend obligatoire dans les entreprises de plus de 250 salariés un service social et un service médical dirigé par un médecin du travail. Le 18 novembre 1942 est instaurée la tutelle aux prestations familiales. C’est aussi au régime de Vichy que l’on doit la conviction d’une retraite plutôt par répartition que par capitalisation, mais aussi le projet d’une organisation générale des assurances sociales en caisse départementale, régionale (chargée de gérer la caisse familiale) et nationale (chargée de la branche vieillesse, invalidité et assurance décès), sans oublier le statut de la mutualité (projet en date de 1943), toutes choses qui seront validées à la libération, à partir de textes de Vichy, parfois recopiés mot à mot. Bien sûr, toute une série d’orientations idéologiques seront alors éliminées tels le choix des populations aidées (mieux valait alors avoir beaucoup d’enfants, être marié et … français) ou encore un salaire familial dépendant du nombre d’enfants (les fonctionnaires pouvant alors voir leur traitement diminuer s’ils persistaient à rester célibataires ou sans enfants). Etonnamment, l’Etat français apparaît plus comme un trait d’union que comme une rupture entre l’avant et l’après-guerre.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°649  ■ 16/01/2003