Tolérance zéro? Incivilités et insécurité
Sebastian ROCHE, Odile Jacob, 2002, 304 p.
Parmi les nombreux facteurs invoqués pour interpréter la délinquance des mineurs, on compte l’hérédité, la personnalité, l’urbanisation, l’inégalité économique, les média de masse, la démographie, l’organisation familiale, l’usage de produits stupéfiants, le comportement des victimes potentiels, l’accessibilité et la vulnérabilité des cibles etc … Le nombre de mises en cause de mineurs étant passé depuis 1993, de 93.000 à 175.000, deux grands blocs d’explications s’opposent : soit un déficit de la répression (la société serait devenue sans règles), soit un défaut de socialisation (la société serait de plus en plus discriminatoire). Sebastian Roché se refuse à entrer dans une démarche uni factorielle : « plutôt que de s’en tenir aux faits qui valident nos croyances, il serait utile de prendre en considération la variété des causes qui concourent à produire le phénomène » (p.116) Et de développer une hypothèse complémentaire tout à fait séduisante. Reprenant la théorie de la vitre cassée, l’auteur explique, tout d’abord, que les moindre dégradations ou petits désordres jouent un rôle essentiel dans la détérioration de l’ambiance et du sentiment de sécurité. Les incivilités qui se multiplient jour après jour pèsent directement non seulement sur la confiance portée aux institutions, mais aussi sur la fréquence des actes de délinquance (vols et agressions). Autrement dit, plus les nuisances s’accumulent, sans qu’aucune réaction ne viennent y répondre, plus le citoyen adopte une position passive, ne croyant plus en la capacité de la société d’y remédier et plus les comportements déviants s’accroissent. Autre facteur non négligeable : la manière dont les espaces collectifs favorise la délinquance du fait même de leur mode d'organisation. Ainsi, ces quartiers conçus dans une logique monofonctionnelle : certains se vident le matin quand la population rejoint son emploi, d’autres sont désertés dès la fin de la journée de travail, laissant sans surveillance des rues entières. Ainsi, ces interstices des espaces collectifs autrefois peuplés par des agents jouant un rôle de socialisation (gardiens d’immeuble, contrôleurs de tickets dans les transports en commun etc…), aujourd’hui trop souvent désertés et qui sont devenus autant de lieux d’opportunité délinquante. Sebastian Roché préconise de rétablir des règles d’hospitalité, en demandant à des professionnels de « l’ordre en public », d’en être garants. Ce sont ces agents d’ambiance assurant une présence dans les bus de Saint Etienne de 7h00 à 23h00 (ce qui a permis en cinq ans d’abaisser le nombre d’agressions de 50 à 6 et le nombre de vitres brisées de 258 à 108). Ce sont aussi les correspondants de nuit qui travaillent dans une logique de médiation, quand toutes les autres institutions sont fermées. Il s’agit là non d’intervenir sur les causes structurelles, mais d’agir sur l’ici et maintenant susceptible de faire baisser la tension source de sentiment d’insécurité.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°633 ■ 12/09/2002