Martinique, comportements & mentalité - Créolisation, assimilation, nationalisme
Guy CABORT MASSON, édition La Voix du Peuple, 1998, 241 p
Dans son dernier essai Guy Cabort Masson tente de resituer la problématique actuelle de la Martinique dans une perspective historique, démontrant brillamment qu’on ne peut comprendre la réalité du présent de ce département français, sans se pencher sur les lourdes implications liées au passé.La France est présente dans les caraïbes depuis 1636, date à laquelle elle colonise la Martinique et va la peupler d’esclaves déportés de leur Afrique natale, victimes du sinistre commerce triangulaire qui fit la fortune de villes comme Nantes et Bordeaux et qui saigna tout un continent d’une part essentielle de sa substance.
Car, il faut bien distinguer entre l’esclavagisme de l’ouest et celui de l’est.
A l’est, les arabo-musulmans capturent des prisonniers africains mais aussi des européens du Caucase ou des Balkans. Ils les destinent à des fonctions militaires, domestiques ou de prestige. Il n’est pas rare de voir des esclaves atteindre des postes relevant de la haute fonction administrative voire militaire. Cette traite est non seulement régulière mais ancienne et d’ailleurs perdure encore aujourd’hui.
A l’ouest, le trafic organisé par l’Europe chrétienne, repose sur un tout autre objectif qui est, lui, exclusivement économique. Il s’agit bien d’utiliser de la matière humaine comme moyen de production permettant de capitaliser des richesses. La ponction sur la population uniquement africaine aboutit à un véritable charnier : c’est un torrent brutal charriant autant de cadavres que de vivants.
En Martinique, la fraction de la population d’origine africaine devient très vite majoritaire : 51% en 1660, 74% en 1709, 92% en 1847. Cette main d’œuvre servile est à l’origine de la richesse des grands propriétaires terriens. Cette fortune va encore s’accroître du fait de l’indemnisation accordée par l’Etat après l’abolition de l’esclavage en 1848. Cet événement majeur ne va pourtant pas remettre en cause la répartition du pouvoir. Soutenus par l’administration coloniale puis par l’Etat républicain, les békés (appelés ainsi pour être souvent aperçus dans les ports à surveiller l’expédition ou la réception des marchandises : « blancs des quais ») dominent encore toute la vie économique de l’île.
Les maîtres des grands domaines profitent grassement des subventions accordées par l’administration qui rachète leur récolte de bananes à un tarif garanti. Ils prospèrent et vivent comme une véritable caste. Le système des latifundias qu’ils perpétuent est fondé sur la monoculture : canne à sucre autrefois, bananes aujourd’hui. La majorité des terres étant consacrées à cette exploitation, l’île n’atteint pas l’auto-suffisance en cultures vivrières. On arrive au paradoxe qui fait que la Martinique qui possède une terre à ce point fertile que même les poteaux en bois des barrières plantés au sol repoussent, doit importer 90% des fruits, des légumes, de la viande et du poisson qu’elle consomme (les mêmes puissances financières qui possèdent les grandes propriétés s’enrichissant au passage dans le commerce !). Résultat : une économie basée sur la seule agriculture des grands propriétaires et sur le tourisme. Le statut de département accordé au lendemain de la guerre a permis de faire croître la fonction publique qui est passée de 5.515 fonctionnaires en 1954 à 18.673 en 1967 (pour autant, aucune priorité d’emploi n’est donnée agents de l’Etat originaires de l’île). Pour le reste, le taux de chômage est le double qu’en métropole (24,3% contre 12,8%), ce qui est aussi vrai pour les 15-24 ans (55,4% contre 26,2%). Conséquence de cette situation : absence de perspectives, avenir bouché, démobilisation, marginalisation, exode vers la métropole.
Que cela passe par les revendications indépendantistes, les demandes d’autonomie dans le cadre de l’Europe ou par une réorganisation politique locale fusionnant les assemblées du Conseil Général et du Conseil Régional, la Martinique devra assumer son histoire et concevoir un avenir qui passera par une remise en cause de la domination de la caste de békés et d’une économie dominée par le seul tourisme et la banane.
Jacques Trémintin – Février 1999