Mai 68 : l’héritage impossible
Jean-Pierre LE GOFF, La Découverte, 1998, 475 p.
Nous avons eu droit pendant près de six mois aux commémorations d’anciens combattants dont Raymond Marcelin, le très réactionnaire ministre de l’intérieur de De Gaulle avait néanmoins eu la lucidité de prédire la destinée : “ Tous ces jeunes gauchistes finiront dans la peau de députés ou de journalistes modérés ” (p.186).
Jean-Pierre Le Goff ne fait pas ici dans le culte du souvenir. Il nous livre une somme à la fois synthétique et très complète sur une décennie qui a changé notre monde. Tout au long des 475 pages, il nous explique en fait, la genèse d’une époque. Car la portée des événements de mai 1968 dépasse de loin les barricades et affrontements avec la police. Notre quotidien est fait de mille aspects dont les racines plongent trente ans en arrière. Et c’est tout l’intérêt de l’ouvrage de nous le démontrer au travers notamment des textes et livres essentiels parus au cours de cette période.
Tout a commencé par une fantastique explosion sociale inventive autant que jouissive. Non exemptes de violence et notamment de brutalités policières, ces semaines se déroulèrent néanmoins en évitant tout bain de sang, et ce grâce à la lucidité des acteurs dont un Préfet de Police qui heureusement ne s’appelait plus Papon. Ce mouvement intense et dynamique emplit d’un grand effroi les institutions qu’elles soient de droite … ou de gauche qui n’auront de cesse que d’essayer de l’enrayer. Mais, c’était trop tard : plus rien ne serait jamais comme avant. Si la mouvance militante gauchiste issue de ce mouvement fit long feu (sans pour autant déraper comme ailleurs dans le terrorisme), il n’en alla pas de même du rouleau compresseur d’une contre-culture qui laboura profondément les mœurs, les pensées et les modes de vie. Triomphe du “ vivre autrement ” qui est venu bousculer les habitudes ancestrales : émancipation sexuelle, irruption du féminisme, anti-psychiatrie, anti-autoritarisme, contestation du système scolaire, écologie politique. Pourtant, loin d’une nostalgie idyllique, le temps de l’analyse critique est venu. Le mouvement de balancier a fait son oeuvre : l’idéal de l’individu totalement autonome et sans racines, sans dettes ni devoirs qui répondit à la lourde et prégnante pression de la collectivité n’a-t-il pas trouvé son pire cauchemar dans le néo-libéralisme sauvage contemporain qui réduit l’être humain à une angoissante ère du vide. Une nouvelle et salutaire mutation s’avère nécessaire en direction d’une solidarité collective qui n’a rien perdu de son message subversif.
Jacques Trémintin – Septembre 1998 – non paru