Christophe Bourseiller: Plon, 1996, 345 p.

Dans le paysage politique français d’extrême-gauche, la mouvance maoïste représente une expérience des plus curieuses. A la différence du mouvement trotskiste qui maintient, bon an mal an une certaine continuité depuis 60 ans (avec notamment la divine surprise du dépassement des 5% d’Arlette Laguiller aux présidentielles de 1995), ou encore de l’anarchisme qui a toujours tenu une place au sein du mouvement ouvrier français, les organisations marxistes-léninistes auront connu une rapide croissance et un certain succès avant de disparaître dans un quasi-néant.

Christophe Bourseiller nous propose aux éditions Plon un ouvrage (1) qui retrace l’aventure de ce courant politique assez surprenant.

Tout commence bien sûr avec le schisme sino-soviétique qui éclate au grand jour en 1960. Le Parti Communiste Chinois met à profit le 90 ème anniversaire de la naissance de Lénine pour tirer à boulet rouge sur le parti frère soviétique accusé de trahir les enseignements du maître. Réplique de Moscou: réédition tapageuse de l’ouvrage de Lénine: « Le gauchisme, maladie infantile du communisme ». S’ensuit toute une série d’incidents qui s’égrènent dans les congrès internationaux au cours desquels se dessine la scission du mouvement communiste international entre pro-chinois et pro-russes. En France, le PCF reste un bastion solide sous tutelle moscovite. La mouvance pro-chinoise prend dès lors naissance à l’initiative d’un jeune avocat devenu célèbre depuis: Jacques Vergès. C’est en effet au travers de la revue qu’il fonde « Révolution » en septembre 1963 que se diffusent les thèses chinoises. Celles-ci vont plus particulièrement séduire deux types de public: tout d’abord les militants communistes non-déstalinisés, mais aussi ceux engagés dans le combat tiers-mondiste et anti-colonialiste. Des cercles se créent un peu partout en France qui se fédèrent d’abord en 1964 pour devenir en 1966 le Mouvement Communiste Français (Marxiste Léniniste), puis en 1967 le Parti Communiste Marxiste Léniniste Français (PCMLF). De son côté, l’Union des Etudiants Communistes subit elle aussi l’influence maoïste, en grande partie sous l’influence de Louis Althusser. Le cercle de la rue d’Ulm (où siège l’Ecole Normale Supérieure) crée en 1966 l’Union des Jeunesses Communistes (Marxiste Léniniste) d’où sera issue la Gauche Prolétarienne.

Christophe Bourseiller décrit année après année les frasques de ces groupuscules qui défraieront la chronique dans des proportions n’ayant que peu à voir avec leur importance numérique. Combien d’épisodes décrits comme autant d’espoirs et de rêves brisés, de vies et de destinées complètement bouleversées.

C’est d’abord la violence terroriste utilisée par une PCF qui n’hésite pas à organiser de véritables opérations-commando pour tenter de saboter les meetings et manifestations de ces opposants qui lui rendent bien au centuple la haine ainsi manifestée.

C’est ensuite le mouvement d’établissement de dizaines d’intellectuels qui sont invités par les groupes maoïstes naissant à « aller au peuple » et à s’installer comme ouvriers dans les usines voire les campagnes.

C’est encore la très médiatique aventure de la Gauche Prolétarienne qui entraîne dans son sillage la fine fleur de l’intelligentsia française: Sartre, Michel Foucault, Jean-Luc Godard, Philippe Sellers. Cette organisation se rendra célèbre tant par les pillages de l’épicerie Fauchon (les produits ainsi récupérés étant redistribués aux plus pauvres), que pour l’assassinat de l’un de ses militants aux portes de la régie Renault: Pierre Overney. Interdite en 1970 par le gouvernement, elle renaît sous le sigle « La Cause du Peuple » (nom de son journal), elle se dissout en 1973 en appelant ses militants à se fondre dans le mouvement social. Emergeront alors tant le journal Libération qu’une amorce de terrorisme. Les Brigades Internationales et les Noyaux Armés Pour l’Autonomie Populaire, s’ils n’atteindront jamais l’ampleur des Brigades Rouges italiennes ou de la bande à Baader allemande, seront néanmoins responsables de l’assassinat de diplomates étrangers et notamment de Jean-Antoine Tramoni, meurtrier de Pierre Overney.

Quant à l’organisation ayant l’imprimatur officielle de la Chine Populaire (le PCMLF), après son interdiction officielle en 1968, elle va vivre une vie chaotique faite d’une longue période de clandestinité, de multiples scissions et ralliements. Au plus fort de ses effectifs, elle ne dépassera pas 2.000 militants. Le parti concurrent (Parti Communiste Révolutionnaire Marxiste Léniniste) aura sensiblement la même audience. L’un et l’autre assureront chacun la parution d’un quotidien pendant plusieurs années, grâce entre autre aux nombreux abonnements contractés par la Chine Populaire. Les deux grandes organisations, mais aussi la kyrielle de groupuscules se faisant la guerre mutuellement finiront pas disparaître totalement de la scène politique ne subsistant que sous la forme de quelques cercles confidentiels répartis entre les pro-chinois, les maoïstes purs et durs et les pro-albanais.

La lecture de l’ouvrage de Christophe Bourseiller rappellera un certain nombre de souvenirs à tous ceux qui ont vécu de près ou de loin cette époque. Elle intriguera le lecteur non-averti qui ne pourra que s’étonner de cette invraissemblable épopée qui aura vu se croiser des milliers d’anonymes mais aussi des personnalités tel Serge July, Gérard Miller,  Roland Castro ou André Glucksmann qui aujourd’hui ont choisi un tout autre chemin bien éloigné de leurs engagements d’alors.

Jacques Trémintin – GAVROCHE  ■ n°92 ■ mars-avril 1997