Jacques a dit

Jérôme Duhamel, Albin Michel, 1997, 227 p.

L’homme que les français ont porté en 1995, à la plus haute charge de l’Etat, possède parmi ses nombreuses qualités celle d’être d’une grande souplesse de conviction. On peut même affirmer qu’au cours de sa longue carrière il aura dit tout et le contraire de tout. A preuve, ce florilège qui nous est proposé par Jérôme Duhamel et qui serait du haut comique s’il ne concernait celui qui exerce le rôle de Président de la République.

Jacques Chirac a prétendu être social-démocrate («le créneau de la social-démocratie est déjà occupée par le RPR »-1977) puis ne pas l’être (« la social-démocratie est la voie la plus pernicieuse »-1984), libéral (« je me sens profondément libéral »-1974) et non-libéral («je ne suis pas non plus libéral, parce que je n’aime pas ce mot pour une raison simple, c’est que je ne sais pas ce qu’il veut dire »-1987), de droite (« j’ai répondu que j’étais gaulliste et de droite »-1983) et pas de droite (« c’est une étiquette que l’on tente toujours de nous accrocher, une image que l’on essaie de nous donner. Ce jeu fait partie du jeu politique. Ni l’étiquette, ni l’image ne correspondent à une quelconque réalité »-1982).

Jacques Chirac a pris des positions très différentes contre les impôts (« il faut absolument réduire les impôts »-1994) et pour (« quand je suis arrivé, le premier acte inévitable a été d’augmenter les impôts pour réduire les déficits »-1996) pour l’impôt sur les grandes fortunes (« l’impôt sur la fortune. Dans le principe, il ne me choque pas »-1981) et contre (« oui, l’impôt sur les grandes fortunes doit être supprimé »-1986); contre la réduction du temps de travail (« ce n’est pas en travaillant moins qu’on sortira de la crise. Il faudra faire en sorte que l’on travaille davantage »-1983) et pour (« ce qui est sûr, c’est que la réduction du temps de travail, au cas par cas, est un moyen important de lutte contre le chômage »-1996); pour la réforme par le bas (« la réforme ne viendra pas du haut, ne sera pas enseignée par les savants: elle viendra du bas, de l’expérience populaire »-1996) et contre (« on ne va pas réformer l’université en demandant aux universitaires eux-mêmes comment s’y prendre ! »-1996); contre une police répressive (« la police répressive appartient soit à notre passé, soit à d’autres pays »-1971) puis quelques années plus tard pour (« quand je parle de la police, je m’en tiens à l’aspect répressif »-1984).

Jacques Chirac a été tour à tour contre les patrons (« le problème, c’est que les patrons ne veulent pas bouger. Ils ne comprennent que les coups de pied au cul. S’ils en veulent, ils en auront »-1996) et pour (« certains amateurs de chamailles attendent que je vous donne quelques leçons bien senties: ils en seront pour leurs frais ! Tout au contraire, je suis venu ici, aujourd’hui, vous dire mon soutien et ma confiance »-1996)

Et l’on pourrait continuer ainsi longtemps, notre Président plaignant les actionnaires et leur reprochant de s’enrichir à peu d’efforts, dénigrant l’administration ou la justice puis les flattant, se prononçant pour les augmentations de salaire puis contre.

Finalement, on comprend mieux pourquoi il a été élu: il a pu à un moment ou à un autre satisfaire tout un chacun.

 

Jacques Trémintin -  Février 1997 – non paru