La nouvelle question sociale - Repenser l’Etat-providence

Pierre ROSONVALLON, Seuil, 1995, 222 p.

La crise de l’Etat-providence qui prend ses racines dans les années 70  a montré la nécessité de concevoir la question sociale selon une logique nouvelle. Les anciennes méthodes de gestion du social ne conviennent plus. Mais, pour y voir plus clair, il est important d’aborder le problème dans sa dynamique historique.

Pendant des millénaires, le lien social apparaissait comme naturel. Hiérarchie, distinctions et équivalences reliant les hommes entre eux étaient alors codifiées de façon organique. Les bouleversements sociologiques et économiques que connaît la société occidentale à la fin du Moyen-Âge, font émerger trois notions concurrentes pour gérer les inégalités: le contrat, la libre régulation par le marché et l’assurance. Les deux premières conceptions ne vont pas réussir à régler la pauvreté qui se généralise. La logique assurancielle s’impose alors dans la première moitié du XXème siècle: ainsi, par la cotisation universelle, chacun se garantit contre les risques de la maladie, du chômage ou de la vieillesse qui s’imposent à tous. Mais cette logique a été très vite grignotée par tout ce qui relève de la solidarité nationale. Comment, en effet, mutualiser  les risques tel le VIH ou la grande dépendance ? C’est l’Etat qui prend le relai. La médecine prédictive et les progrès de la génétique ont, quant à eux, permis d’individualiser et de personnaliser les risques. Enfin, de nombreuses « exceptions » sont venues invalider le principe de l’assurance: 1% de cotisation chômage pour les fonctionnaires non soumis à cet aléa, prestations familiales calculées de plus en plus en fonction des revenus, redistributions compensant des disparités ingérables (en 1950, dans les mines 405.000 cotisants devaient supporter 243.000 pensionnés; en 1987 60.000 actifs devraient -sans les transferts qui s’opèrent- payer la pension de 437.000 retraités !)...

Sur le terrain économique, des inversions ont contribué à modifier la situation. Dans les années 60, l’ entreprise internalisait le coût social global au travers des grilles de salaire et des négociations contractuelles. Les années 90 ont vu le triomphe de la flexibilité à outrance du travail, sacrifié sur l’autel de la rentabilité. Le social s’est trouvé très vite externalisé par l’entreprise. Qui plus est, ce social a été entraîné dans une logique d’individualisation: que l’on pense au fonctionnement des Commissions Locale d’Insertion qui s’attachent à l’histoire personnelle de l’individu. De fait, la trajectoire de l’usager est devenue une variable fondamentale dans la démarche d’insertion. La plupart des actions de s’adressent plus à des populations-cibles mais s’appuient sur des politiques horizontales ou transversales comme le montre le travail en direction des chômeurs de longue durée ou des ménages surendettés.

L’auteur en déduit qu’on ne peut plus envisager le social sous la forme de prestations attribuées automatiquement. On s’oriente inéluctablement vers une individualisation des droits. Pour éviter les dérives du contrôle social, il convient d’envisager les possibilités de recours de l’usager. Est-ce la porte ouverte vers la judiciarisation ? L’avenir n’est en tout cas pas tracé d’avance: il reste à inventer dans l’esprit peut-être d’une plus grande continuité entre l’action individuelle et l’action collective.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°350 ■ 25/04/1996