La France raciste
Michel WIEVIORKA, Points Actuels-Seuil, 1993, 201p.
La montée du racisme en France est concomitante avec la crise sociale qui voit le déclin de la société industrielle (et par conséquent du mouvement ouvrier) et une véritable dualisation, le fossé se creusant de plus en plus entre le monde du travail et celui de l’exclusion. Face à la chute sociale, au ressentiment, à l’effondrement des pratiques communautaires, le nationalisme populiste et xénophobe a pris une ampleur sans précédent.
Michel Wieviorka et son équipe sont allés enquêter sur le terrain. Ils ont choisi tout d’abord trois villes: Roubaix, Mulhouse et Marseille. Puis ils se sont intéressés à trois populations: la police, les travailleurs sociaux et les skinheads. Dans chaque situation un échantillon déterminé a été placé dans une situation d’échange avec des interlocuteurs également concernés par le racisme: élus locaux, magistrat, policier, jeunes issus de l’immigration, parlementaire, responsable du Front National ou d’association anti-raciste etc... Au gré de ces échanges, les chercheurs ont mesuré les fluctuations des préjugés des différents acteurs ainsi que les capacités d’auto-analyse du groupe.
De la plongée dans les quartiers en difficulté, il ressort que l’espace du racisme s’ouvre d’autant plus que s’expriment la décomposition ou la non-structuration des rapports sociaux. Il reste instable quand il correspond à des difficultés sociales concrètes. Leur résolution peut contribuer alors à l’amoindrir considérablement. Il est bien plus puissant quand il coïncide avec une perte d’identité ou une déstructuration de l’appartenance communautaire. Le dynamisme, la solidarité culturelle et la jeunesse des populations immigrées quand elles croisent l’apathie, l’isolement et le vieillissement des populations de souche en plein déclassement et déchéance provoquent alors une immense rancoeur et un intense sentiment d’injustice.
Discours répétitifs et terrifiants de haine des skinheads, mais par contre avancée importante des policiers. Ceux-ci, partis sur des constructions artificielles et mythiques les positionnant en victimes des immigrés et d’une hiérarchie sensible aux moindres interventions de mouvements antiracistes, finirent par convenir de la dominante raciste qui s’impose en leur sein comme une norme.
Ce n’est pas tant des propos rationnels et universalistes qui permettront de combattre le racisme. Pas plus d’ailleurs que l’enfermement dans des notions valorisant l’ethnicité et le droit à la différence. Seuls, peut-être l’enrayement de la déstructuration et l’engagement d’un processus de recomposition permettrait d’éviter une dérive comparable aux ghettos américains. La mobilisation du tissu associatif et des capacités d’action des habitants peut jouer à cet effet un rôle considérable.
Jacques Trémintin - Mars 1996 – Non paru