Dealer d’amour
Guy Gilbert, Stock, 1997, 284 p.
Les lecteurs fidèles du « prêtre des loubards » ne seront pas déçus. L’auteur a gardé la même gouaille et la même liberté d’expression que dans ses précédents ouvrages.
Les amateurs de spiritualité pourront trouver sous la plume de ce curé pas comme les autres une prose à leur convenance: les considérations sur la croyance tout au long du texte et le petit recueil de prières rassemblées à la fin de l’ouvrage les combleront.
Le public conventionnel et respectueux des autorités ecclésiastiques de ce bas-monde se réjouira par ses véritables odes d’amour au pape et à l’archevêque de Paris, Monseigneur Lustiger. Celui habitué à un peu plus de hardiesse trouvera lui aussi son compte. Si Guy Gilbert se faisait une joie en septembre 1996 d’aller rendre hommage à Jean-Paul II, lors de son pèlerinage de St Anne d’Auray, il a préféré y arriver en retard, car il avait fait le choix d’aller témoigner au procès de 2 jeunes. Car, derrière l’homme d’église se trouve l’éducateur fondateur de la « Bergerie », lieu de vie en Provence où se succède depuis 23 ans nombre de jeunes en perdition dont on ne sait plus quoi faire. Quand l’homme de religion cède la place quelque peu au témoin de la jeunesse en difficulté, il se dit des choses fort intéressantes. Ce sont alors des coups de colère tout à fait rassérénants: « Ras le bol d’entendre ces vieux bonzes qui vous annoncent doctement que les jeunes d’aujourd’hui sont violents (...) la violence naît prioritairement du vide, de l’oisiveté, du ’’t’es bon à rien’’ ou ’’c’est ta faute, t’as une peau d’arabe » (p.117-118). Mais aussi: « l’éternelle violence des jeunes est bonne. Elle est faite des rêves éperdus, des désirs de vaincre tous les himalayas de la terre, de se bouffer le monde » (p.119). Ou encore: « ils ont trop attendu, nos dirigeants. Malgré les signaux de détresse, ils n’ont pas vu venir la misère, la rancoeur, les beurs mis au rancard, les jeunes laissés pour compte. Ils ont envoyé des cohortes de policiers. On n’éteindra jamais la violence. On peut l’étouffer, la colmater, la nier, l’écraser. Elle repoussera sans cesse » (p.113). Entre deux prêches, que vous nous dites des choses pertinentes, Monsieur Gilbert. Mais, attention, à ces vieux démons venant du fin fond de l’obscurantisme judéo-chrétien et qui vous rattrapent. Car à côté de réflexions des plus intelligentes sur les tueurs d’enfants qui «ont basculé, une fois adultes, dans l’horreur à la suite de leur propre parcours de victimes broyés » on trouve une bien peu charitable stigmatisation de ce qui n’entre pas dans les normes de la bonne sexualité chrétienne. Ainsi, mettez-vous en garde les jeunes qui pratiquent d’autres rapports « avec le risque très grave de se fixer définitivement dans l’homosexualité et de donner à leur vie une déviance qui les fera sombrer » (p.134)
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°412 ■ 02/10/1997