La mécanique des sectes

Jean-Marie ABGRALL, Payot, 1996, 338p.

Jean-Marie Abgrall est psychiatre et expert auprès des tribunaux. En 1990, il est chargé d’une expertise sur les thérapies de la « scientologie ». Il subit à cette occasion de nombreuses pressions et fait l’objet d’une campagne de calomnies. Ses conclusions n’en seront pas moins précises et  sans appel: « La scientologie est une secte pratiquant des techniques médicales et paramédicales essentiellement psychiatriques. Son idéologie est basée sur l’endoctrinement, la manipulation mentale et la soumission. L’argument religieux n’apparaît que comme une couverture destinée à masquer les intérêts économiques. Elles s’applique à une population psychologiquement fragile ou immature. Elle peut avoir des conséquences graves, voire dramatiques, en amenant le sujet à la folie ou à la mort. »

Jean-Marie Abgrall sait de quoi il parle. Il a  étudié la logique sectaire depuis plus de 15 ans. Il nous livre le fruit de ses longues recherches dans un ouvrage à la fois passionnant et remarquablement détaillé.

L’auteur écarte dès les premières pages tout amalgame entre mouvements religieux et philosophiques minoritaires et structures sectaires manipulatrices dont il compare l’action à celle de la toxicomanie (accoutumance progressive, dépendance puis augmentation progressive des contraintes).

La mouvance sectaire contemporaine s’est développée à partir de trois sources: les églises traditionnelles, la mouvance orientaliste et l’ésotérisme/occultisme (dans son acception moderne façon « new-âge »). Elle s’abreuve de catastrophisme, de millénarisme et d’écologie délirante.

Qui dit secte dit avant tout gourou. Cet individu peut tout aussi bien être un maître à penser, qu’un escroc ou un malade mental. Il peut aussi être à la croisée de ces trois personnages. Sa mythomanie l’amène à truffer systématiquement sa biographie d’épisodes flamboyants complètement fictifs. Ses traits de caractères les plus courants relèvent de l’impulsivité de l’amoralité et  de l’inamendabilité. Autant dire que s’il a fréquenté les milieux psychiatriques, c’est plutôt du côté des patients !

Puis vient l’organisation sectaire en elle-même qui fonctionne sur un mode pyramidal. Les bénéfices remontent vers le haut et la coercition s’accentue au fur et à mesure où on descend vers la base. Plusieurs principes sont au départ de la dynamique du groupe: l’indifférenciation d’abord (disparition de toute autonomie individuelle), l’autosuffisance ensuite (la secte fonctionne repliée sur elle-même), la délimitation encore (bien distinguer l’intérieur du groupe de l’extérieur), la scotomisation toujours (focalisation sur une ou deux idées qui inlassablement répétées contribuent à couper l’adepte de la réalité), réduction de la dissonance cognitive enfin (capacité à justifier toute incohérence notoire).

L’adepte, quant à lui est souvent un être humain plutôt dépressif, hyper-émotif et hypersensible, aux relations interpersonnelles réduites, et aux échanges affectifs carencés. Il vit des conflits familiaux et sociaux qui en font une proie facile. Son recrutement passe par une première séduction basée sur ses besoins de chaleur humaine et de fraternité que lui offre la secte. Pour y arriver, tous les moyens sont bons: mystification du discours, fabulation, simulation, dissimulation, mépris contibuent à faire accepter l’irrationnel. Une fois l’adepte accroché, différentes techniques vont être utilisées pour le maintenir dans la soumission: réorganisation de tous les aspects de sa vie, rupture avec tous les liens  du passé tant familiaux que sociaux, maintien dans un état général de suggestibilité voire même dans des états altérés de la conscience (transe, méditation, chants répétitifs, ...). Isolement, privation de sommeil, travail forcé, éventuellement hallucinogènes complètent le tableau. Le conditionnement est dès lors à la fois culturel, affectif, psychique et physique.

Les derniers chapitres de l’ouvrage de Jean-Marie Abgrall sont consacrés à une étude précise des pathologies induites par l’agissement des sectes et la procédure suivie pour permettre a l’individu de s’en sortir: réintégration du réel, reconquête d’une autonomie de pensée et d’un vécu émotionnel direct, réinsertion sociale enfin.

Décidément les sectes ne se trompent d’adversaire: les psychiatres de la trempe de celui-ci constituent effectivement pour elles un danger de tout premier ordre !

 

Jacques Trémintin - Novembre 1996