Esclaves du XXème siècle: les enfants dans les sectes

Chantal Tokatlian, éditions Jacques Grancher (98, rue de Vaugirard 75006 Paris), 199p, 1995

Le tour d’horizon que nous propose ici Chantal Tokatlian est rien moins qu’effarant. On se prend à plusieurs reprises à croire à une mauvaise fiction, voire à des élucubrations de journalistes en mal de sensation forte. La dernière page refermée, on aimerait tant que tout ce qu’on vient de lire soit le produit de l’imagination ...

On commence à bien connaître les mécanismes des sectes: en y pénétrant, l’adepte perd son identité au profit de celle du groupe. Tout est fait d’ailleurs pour l’isoler: rupture avec sa famille et ses amis ainsi qu’avec le monde extérieur en général, socialisation passant pour l’essentiel au travers des arcanes de la secte. Mais, c’est peut-être encore les enfants qui subissent le plus les affres de ce conditionnement. Il y a très clairement les concernant menace pour leur intégrité, leur santé et leur moralité. On ne compte plus les refus de soins au prétexte que la foi, la prière, le surnaturel ou la magie pourraient supplanter avantageusement médicaments ou interventions chirurgicales. Mais il y aussi l’alimentation carencée: végétarisme strict, crudivorisme, macrobiotique, jeûnes purificateurs ... provoquent un déséquilibre alimentaire catastrophique se concrétisant sous forme de retard staturo-pondéral, de décalcification, d’anorexie ou de rachitisme. Les sévices physiques sont édifiés parfois en méthode pédagogique suprême voulue par Dieu, seul moyen pour l’enfant de trouver la bonne voie. Et puis, il y a cette litanie des sévices sexuels: pratiques incestueuses, utilisation des plus jeunes pour le plaisir du gourou, systématisation de la prostitution comme chez les « Enfants de Dieu » comme moyen de recrutement des nouveaux adeptes (de préférence riches et puissants). Jusqu’aux actes abominables des sectes sataniques américaines qui donnent dans le sacrifice humain de jeunes enfants, cérémonies filmées et revendues à prix d’or aux amateurs.

L’auteur reprend les différents droits qu’ils soient « de l’homme » ou « des enfants » et démontre le caractère éminemment totalitaire et destructeur des sectes pour la personne humaine.

Comment réagir face à ce terrible péril ?

Rien ne sert de heurter de front l’argumentation de l’adepte. Plus on s’attaque à sa logique plus on risque de consolider ses convictions. Il vaut bien mieux semer des questions comme autant d’interrogations qui pourront un jour le faire réfléchir: dort-il suffisamment ? Comment mange-t-il ? Comment se déroulent ses journées ? Quel contact a-t-il avec le monde extérieur ? Quel sens critique a-t-il par rapport à ce qu’il vit ? Mais ce qui est bien plus important encore, c’est la chaleur humaine et l’affection sincère qui lui sont manifestées: on doit toujours lui tendre une main amicale qu’il pourra saisir le moment venu. Les méthodes de « déprogramming » en provenance d’outre-atlantique sont à proscrire: à la dépersonnalisation opérée par les sectes, elles opposent des épreuves tout aussi traumatisante (privation de nourriture, de sommeil, correction physique ...).

Mais une question prime toutes les autres: l’adepte n’est pas allé vers la secte par hasard. Certes, on peut difficilement parler de libre choix. Cette option répond néanmoins à un besoin, voire à une souffrance que la secte vient combler. Sans réponse à cette problématique, la difficulté reste entière.

 

Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°376  ■ 05/12/1996