Un impossible travail de déradicalisation
ALBER Alex, CABALION Joël, COHEN Valérie, Éd. Erès, 2020, (249 p.)
Trois sociologues au pays de Kafka ! L’affligeante mystification de Pontourny est passée ici au scanner et autopsiée au scalpel avec une précision et une rigueur qui mettent en évidence les piteuses dérives du premier et du dernier centre de déradicalisation français. Commanditée par un Manuel Valls désireux de rejeter l’accusation de laxisme, cette structure disparut après seulement onze mois d’un fonctionnement erratique.
On peut être étonné d’apprendre que deux millions et demi d’euros furent consacrés à remettre à neuf l’ancien établissement de l’ASE de Paris … alors que l’absence de compte en banque contraignit les professionnels à avancer leurs deniers pour faire les pleins d’essence.
On peut être tout autant stupéfait de découvrir que le service de sécurité présent sur place avait pour seule mission d’éviter toute intrusion extérieure, mais pas d’intervenir en cas d’échauffourées avec les jeunes … pour ne pas augmenter inconsidérément le coût de ses prestations.
On reste abasourdi de comprendre que l’application de la laïcité se traduisit par l’interdiction de pratiquer sa religion … la consigne étant donnée de pourchasser ceux qui effectuaient leur prière, pendant les pauses.
Mais que dire de la mission managériale, organisationnelle et pédagogique confiée à d’anciens militaires de carrière ! L’encadrement éducatif avait pour ambition de développer l’esprit critique de ces jeunes, de favoriser leur prise de conscience progressive, ainsi que de leur apprendre à penser par eux-mêmes. Mais réfléchir, c’est commencer à désobéir ! Ce beau programme fut bien vite inversé. S’imposa ce que l’on peut faire sans doute de pire en termes de symbolisme creux. Il fallait une prise en charge martiale et exigeante du public accueilli, faisant disparaître toute individualité derrière un collectif portant la même tenue-uniforme et imposer l’adhésion à l’idéal patriotique grâce à la levée du drapeau au chant de la Marseillaise !
L’asservissement au djihadisme devait être remplacé par l’enrégimentement au service des valeurs de la République. Pas d’émancipation, mais une obéissance et une soumission à une nouvelle cause. Les éducateurs ne tardèrent pas à démissionner les uns après les autres, ceux restant devant renier leurs convictions éthiques. Que d’argent public, de compétences et d’énergie gâchées dans le naufrage d’un projet autoritariste mort-né.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1286 ■ 05/01/2021