L’école au piquet

Laurent OTT, Albin Michel, 2001, 205 p.

Serait-ce là les mauvaises pensées d’un éducateur devenu instituteur ? Cela y ressemble bigrement. Voilà une approche insolente et revigorante qui mérite le détour. Loin de moi tout corporatisme qui me ferait me réjouir de l’incendie qui ravage la maison d’à côté. Mais on ne peut que boire les remarques qui s’égrènent ici, tant elles raisonnent avec notre expérience de parent ou de professionnel. Enseigner aux élèves peut-il se concevoir sérieusement si cela se limite à le faire pour eux et non pas avec eux, nous explique Laurent Ott ? Cette reprise de contrôle de l’institution pas ses acteurs passe par un certain nombre de remises en cause. Il en va ainsi de la difficulté d’accepter en classe un objet extra-scolaire qui n’est pas destiné à celle-ci, mais aussi des réticences à permettre la libre circulation dans l’école, toujours identifiée au laxisme et jamais en terme de responsabilisation. C’est aussi le droit omniprésent dans l’orthographe (les règles), les faits scientifiques (les lois) ou la pédagogie (le contrat), mais jamais dans l’appréhension de l’élève comme citoyen (il est l’éternel mineur « sans droit »). C’est encore le temps de vivre : celui de la rencontre, celui consacré à la gestion des conflits, à la communication ou à l’expression ... toujours oblitérés par le temps programmé. C’est quasi systématiquement le rejet de l’échec sur l’élève lui-même (ou ses parents) : l’institution ne saurait être remise en cause. L’école n’a jamais pu accepter l’idée que l’on puisse confier à l’enfant la direction de ses apprentissages. Aussi a-t-elle préféré la démarche d’individualisation qui, en en favorisant le fractionnement a signé la mort de la vie de groupe et la fin des dynamiques collectives. « Individualiser, c’est organiser de l’extérieur un savoir sur l’intime du sujet, auquel ce dernier sera au mieux associé. Personnaliser c’est au contraire permettre au sujet de produire sa parole et de la mettre à la place du discours qu’on a sur lui, c’est lui rendre les rênes de sa propre éducation » (p.180). On a beau être devenu instit, on n’en reste pas moins éduc ! A preuve, cette approche de la prévention : plus on protège les enfants et plus curieusement on les sent démunis, affirme l’auteur. La cause n’en serait-elle pas à chercher du côté du temps passé pour tenter de les protéger contre le sida, les pédophiles, le tabac, la drogue, les sectes ... et qui empêche de trouver un moment pour apporter un réelle éducation sexuelle, pour réfléchir au sens de la vie et parler avec eux de leur place dans la société ? En se centrant sur leurs enfants, en les déifiant, en ne les autorisant pas à la prise de risque, les adultes ne répondent pas à l’une de leur préoccupations : s’initier au monde des grands, s’évader de leur enfance. Ils se contentent de leur tendre un miroir, et les prive ainsi d’espoir.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°593 ■ 18/10/2001