L’enfant et la peur d’apprendre

Serge BOIMARE, Dunod, 2004, 196 p.

L’Ecole est confrontée chaque année au défi de ces enfants à l’intelligence normale et à la curiosité intacte qui bloquent complètement face à l’apprentissage scolaire. On a évoqué un sous-entraînement ou un déficit dans l’apport initial. Si ce n’était que cela, cela fait longtemps que le problème aurait été solutionné. La thèse que développe Serge Boimare dans son ouvrage qui vient d’être réédité dans une version enrichie, est particulièrement féconde. Si ces élèves ont réussi à mettre en place de véritables stratégies pour ne pas avoir à affronter la situation d’apprentissage, ce n’est pas uniquement à cause de lacunes dans le domaine de la mémoire, de l’attention, des repères spatio-temporels ou de coordination oculomotrice. C’est aussi et sans doute surtout parce qu’accéder à la connaissance constitue, pour eux, une menace contre leur équilibre personnel, induit des sentiments de dévalorisation ou de persécution et provoque la réactivation de peurs archaïques. Car, acquérir du savoir, ce n’est pas seulement mettre en jeu son intelligence, c’est aussi rencontrer des limites et des règles, se confronter à des insuffisances, accepter d’abandonner ses certitudes. Un enfant qui s’est construit sur la base d’un bas seuil de frustration, de l’absence de repères et de contraintes, du tout, tout de suite et de l’exclusivité de la relation, va opposer une résistance farouche à l’exigence qu’implique l’apprentissage. Ce qu’il développe alors, c’est une véritable phobie du temps de suspension nécessaire à cette démarche qui crée une brèche où s’engouffrent les pulsions de violence et de passage à l’acte. Ce qui est courant chez la plupart de ses congénères ne l’est pas pour lui : il n’épure pas la charge émotionnelle et émotive pour accéder au symbolique. C’est l’accès au symbolique qui réactive ses peurs. « Il n’aura jamais accès à la connaissance, tant qu’il n’acceptera pas de ne pas savoir, tant qu’il refusera d’affronter la souffrance que lui impose la rencontre avec ses limites, tant qu’il ne sera pas capable de se détacher de ses préoccupations infantiles et de se laisser guider » (p.42). Loin d’être désespérante, cette hypothèse identifie la direction dans laquelle creuser. Et la voie expérimentée avec succès par l’auteur est justement de donner une forme négociable à ces peurs, en créant un espace culturel entre l’envahissement pulsionnel et le blocage de la  pensée. Le moyen utilisé ? La littérature, qu’elle soit mythologique ou celle, plus contemporaine, de Jules Verne, du moment qu’elle aborde les thèmes qui devraient dérégler les enfants, mais qui leur permet au contraire de gérer leurs angoisses. Persée et Thésée permettent d’aborder la question du conflit de génération et de l’inceste, Pygmalion et Prométhée la dépendance et la soumission, Achille l’invincibilité et l’immortalité, Icare et Phaéton les interdits non respectés, Orphée des mystères de la vie et de la mort... Et, à en croire l’auteur, ça marche !

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°719 ■ 02/09/2004