Pédagogues de l’extrême. L’éducabilité à l’épreuve du réel
CASANOVA Rémi et PESCE Sébastien, ESF éditeur, 2011, 199 p.
Cet ouvrage collectif s’est donné pour ambition de présenter un certain nombre d’expérimentations consacrées à des publics plutôt rétifs à tout processus d’apprentissage et à des situations pouvant laisser penser à une impossibilité objective d’y accéder. Après une première partie un peu décevante, exposant des dispositifs pour lesquels on a du mal à repérer la dimension pédagogique extrême, on rentre dans le vif du sujet. Une première série s’intéresse à des confrontations improbables. Ainsi, de cette pratique de la boxe pied poing pour des déficients visuels, réputée non seulement peu compatible avec cette déficience, mais particulièrement nuisible. Un entraînement adapté basé sur l’équipement de clochettes aux sonorités différentes, selon les points du corps, permet pourtant de compenser la malvoyance. Au point de permettre à un sportif privé de la vue, d’initier de jeunes délinquants ! Autre projet qui, pour pilote qu’il soit, n’en semblait pas moins a priori déraisonnable et irréaliste : hisser, en quelques semaines, à un niveau de connaissance minimal des enfants illettrés issus des communautés immigrés les plus marginalisées d’Israël. Le véritable marathon intensif engagé permit à la première génération d’élèves soumis à ce programme d’atteindre un niveau de réussite de 75% (contre 50% pour la moyenne nationale), avec seulement 3% d’abandon. La seconde série d’expérimentations fonctionne sur une logique de défi lancé à des enfants et adolescents en plein rejet de toute démarche d’apprentissage. C’est d’abord l’utilisation de la souffrance corporelle occasionnée par la pratique intensive du sport, pour amener des jeunes peu enclins à l’empathie, à s’intéresser à ce que l’autre éprouve, grâce au partage des mêmes ressentis douloureux. C’est, ensuite, cette action auprès de jeunes de la rue, au Portugal, s’inscrivant dans une culture de la provocation et d’affrontement, propre à leur mode de vie souvent cruel et impitoyable, afin de mieux les motiver. C’est, enfin, cet étonnant club de sports de combat, à Roubaix, utilisant des rites d’affiliation basé sur des règles et des exigences pleines de rigueur, qui bien loin de faire fuir des jeunes particulièrement déstructurés les attire en masse. Troisième axe proposé par ce recueil de témoignages : des missions qu’on aurait pu penser illusoire de confier à des jeunes qui se montrent finalement tout à fait capables de mener à bien. Tels cette opération « ados ambassadeurs de la loi » chargés d’aller à la rencontre des quartiers réputés difficiles d’Île de France ou encore ces orchestres de musique de chambre créés au cœur des bidonvilles, en Argentine. Comme quoi, face à des circonstances atypiques, des pédagogies innovantes peuvent réussir l’impossible.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1054 ■ 15/03/2012