Du nomadisme à la resocialisation

 Utiliser l’itinérance pour stabiliser des jeunes désocialisés : un paradoxe mis en oeuvre par un lieu de vie finistérien et qui marche !

Ribinad signifie en breton « passage étroit », « brèche » ou « bout de chemin ». L’association portant ce nom anime une structure d’accueil non traditionnelle qui accompagne un moment de la vie de jeunes de 14 à 21 ans, en grande difficulté sociale ou familiale, en situation d’exclusion ou de transgression, avec pour ambition de leur proposer l’itinéraire leur ouvrant la voie de l’intégration. Elle a commencé à fonctionner en 1987, en tant que lieu de vie familial. Les prises en charge assurées l’ont très vite confrontée à des cohabitations compliquées. Il y avait ceux qui avaient été agressés sexuellement et qui se trouvaient face à d’autres, en position d’auteurs. Mais aussi, ceux qui, souffrant de trop grandes carences, ne supportaient pas la vie en groupe. D’où l’ouverture de maison relais accueillant d’une façon plus individualisée. De cette nécessité à proposer un projet au cas par cas, loin du groupe, est née l’idée d’un séjour à l’étranger. Les premières expériences sont menées entre 1993 et 1996 dans les îles Canaries : 27 jeunes vont y vivre au contact d’une population à la fois très contenante et peu jugeante. L’occasion de développer une image d’eux-mêmes bien différente de celle qui leur avait été renvoyée jusque là. Estime de soi revalorisée, reprise d’une confiance en ses capacités, retissage de liens de socialisation… tels furent les résultats constatés.

 

Marcher pour se retrouver

Les effets de déstigmatisation jouant un rôle majeur dans l’évolution des jeunes confiés, l’association décide alors d’approfondir et de développer le support pédagogique adopté. Si son siège de Telgruc sur mer, au centre du Finistère comporte bien un appartement permettant un hébergement temporaire, toute son activité est orientée vers l’accompagnement à l’étranger. Le séjour proposé se déroule en trois phases. La première période est marquée par le nomadisme. Le(la) jeune part seul(e) avec un(e) accompagnateur(trice) sur une période pouvant aller de quelques semaines à deux ou trois mois sur le chemin de Compostelle. S’il n’est pas question ici d’un pèlerinage, toutes les dimensions du rite de passage sont réunies : la rencontre et l’échange avec les autres marcheurs qui ne manquent pas d’encourager et de soutenir le jeune dans ses efforts, les haltes dans les gîtes, hôtels, auberges, la tenue de la Credencial, cette accréditation à faire tamponner à chaque étape... Si l’association met à disposition un véhicule, il n’est pas rare que l’ado fasse le choix de cheminer à pied, aux côtés de ses compagnons de route. C’est un moment privilégié pour se retrouver et faire un peu le point, avec l’aide de son accompagnateur. Cette phase correspond à un arrêt d’agir, à un apaisement et à une réflexion commune. « Les jeunes nous disent souvent que cela leur permet de se vider la tête » explique Gilles Amerand Directeur de l’association.

 

Vers la resédentarisation

La seconde étape du séjour se déroule aux abords de petits villages d’Andalousie : soit près de la mer dans la région de Cadiz, soit à la montagne dans la région de Ronda. Le(la) jeune toujours avec son accompagnateur(trice) entre pour environ quatre mois dans un séjour qui là sera sédentaire. L’ouverture à un monde socioculturel étranger, déjà entamé lors de la phase de nomadisme, s’approfondit, favorisant l’émergence d’un certain savoir-vivre en société. Il s’agit, grâce à l’intégration à un tissu local, de poursuivre le travail de réappropriation des modèles sociaux et de resocialisation engagé précédemment. « Nous fuyons la bétonisation et  recherchons ce qu’il peut y avoir encore d’authentique dans certains villages. Cela nous permet de laisser par exemple un jeune seul en semi-autonomie sur la journée, la population environnante étant de celles qui jouent un rôle protecteur et normalisateur » rapporte Gilles Amerand. Le jeune va être invité à réfléchir à son projet de vie, à s’orienter vers un choix d’insertion professionnelle, qui sera mis en œuvre à la sortie du séjour. C’est l’occasion d’une remise à niveau scolaire, avec des cours du CNED et d’une découverte du monde professionnel, avec des stages en entreprise. Le support du sport est aussi utilisé, comme mode d’intégration des règles de vie. La troisième phase a été l’occasion pour Ribinad d’aller encore un peu plus loin.

 

Penser à l’après

Il y a quelques années, des éducateurs référents ont fait remarquer à l’association que les jeunes qui les quittaient étaient confrontés au risque de délitement des progrès accomplis et ce, par manque de continuité du travail engagé. Depuis, s’est créé, près de Pau, un service de suite, structure d’accueil qui permet justement d’assurer ce prolongement quant à l’insertion professionnelle du jeune, si tel est son projet et son souhait. Outre cette possibilité d’accueil postérieur au séjour de rupture, l’originalité de cette association est quand même la prise en charge individualisée du mineur par un « précepteur-accompagnateur socio-éducatif». Même si (nombre ?) adultes se relaient auprès du jeune, le choix d’une relation très individualisée constitue la réponse choisie par l’association, pour faire face à des troubles de la personnalité qui ont mis en échec toutes les solutions familiales ou institutionnelles antérieures. L’association Ribinad, habilitée pour 23 jeunes confiés par l’aide sociale à l’enfance emploie 33 accompagnateurs dont deux sont dédiés à la logistique.

Contact : Ribinad 1 rue de l’église 29560 Telgruc sur Mer / Tél. : 02 98 27 78 52 / mail : secretariat@ribinad.com


Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°886 ■ 29/05/2008