Traitement maltraitance - Belgique

Maltraitance : la Belgique a choisi une double réponse

Ne pas limiter le traitement des situations de maltraitance à la seule réponse judiciaire. Cette gestion des mises en danger des mineurs peut surprendre le visiteur français habitué à d’autres certitudes. Attraits et limites du modèle belge.

La recherche de l’adhésion de la famille traverse, comme nous venons de le voir, tout le dispositif belge de protection de l’enfance. Cela est vrai y compris dans les situations d’urgence où le juge de la jeunesse peut prendre une mesure de protection. Mais celle-ci est limitée à 14 jours, renouvelable sur 30 jours. Pendant cette période, comme on pouvait s’y attendre, c’est « naturellement » le Conseiller du SAJ qui est compétent pour trouver des solutions négociées avec la famille. Ce n’est qu’en cas d’échec de ses tentatives que le Directeur du SPJ sera mandaté. Cette même logique est à l’oeuvre à propos de la maltraitance. Ce qui peut nous étonner, nous autres français qui sommes partisans d’une gestion judiciaire, sans exception aucune, de ces affaires. En Belgique, on cherche d’abord à vérifier si l’action psychosociale n’est pas plus efficace que l’action judiciaire. Des structures ont été créées à cet effet : ce sont les équipes « Sos-enfants maltraités » qui proposent un plateau pluridisciplinaire composé de psychiatres, de psychologues, d’éducateurs, d’assistants sociaux, de juristes … chargés d’évaluer les signalements d’enfants victimes de mauvais traitements. Cette structure est sollicitée par tous les partenaires qui ont reçu une révélation. Mais, c’est aussi le parquet qui lui adresse les situations de famille à propos desquelles il a été saisi. Ce qu’attend le procureur, c’est bien un avis sur l’opportunité d’une judiciarisation ou sur les possibilités existantes d’entrer dans une logique non contraignante. Et, en général, il suit ce conseil. Les professionnels belges ne sont donc pas sous la menace de voir leur responsabilité pénale engagée s’ils ne transmettent pas immédiatement au parquet leurs moindres suspicions, comme cela a été le cas en France dans les affaires d’Auch et du Mans (incarcération d’intervenants qui n’avaient pas signalé dans les temps). Même si le nouveau code pénal de 1994 a clarifié les obligations liées au secret professionnel pour celles et ceux qui y sont soumis, faisant de la transmission une possibilité et non une obligation, cela n’a pas empêché un certain nombre de signalements-parapluie cherchant surtout à protéger les intervenants. Paradoxalement, cette pression ne permet pas dans notre pays d’améliorer forcément le traitement judiciaire, puisqu’il n’est pas rare que la justice mette des semaines, voire parfois des mois à donner suite et que dans 80% des cas venant à sa connaissance, il y a  classement sans suite ou relaxe. Le dogme très hexagonal qui veut que la restauration de la victime passe obligatoirement par le jugement de son agresseur n’est pas partagé en Belgique. Et pour cause, ce n’est là qu’une hypothèse qui est devenue, sous l’influence de certains psys, un credo idéologique. On peut bien d’ailleurs se demander, si cela était vrai, ce que deviendrait les 80% d’enfants qui ne sont jamais reconnus judiciairement, et qui se trouveraient dès lors condamnés à ne jamais pouvoir se réparer ! Le système français semble avoir trouvé ses limites dans le procès d’Outreau (qui a démontré combien la judiciarisation aveugle pouvait commettre de dégâts) et d’Angers (qui a établi que cette même judiciarisation ne pouvait constituer une protection vraiment efficace, n’intervenant que dans l’après-coup). Le mode d’action belge préserve la capacité de réflexion des professionnels, évite la précipitation qui court-circuite l’évaluation de la meilleure solution à adopter, et permet de mesurer avant d’agir les effets à court et à long terme de chaque option possible. Le Belgique fait obligation a tous ses citoyens d’apporter aide et protection à tout mineur victime de maltraitance et facilite la transmission des informations à ce sujet. Mais, la levée du secret professionnel n’est autorisée qu’à condition que celui qui y est contraint aie pu examiner lui-même la victime ou recevoir ses confidences, qu’il existe pour elle un danger grave et imminent menaçant son intégrité physique ou mentale et qu’il ne soit pas en mesure d’assumer sa protection (les trois conditions doivent être toutes réunies). Cela ne veut pas dire que la judiciarisation ne se fasse jamais ou rarement : elle intervient dans trois cas sur quatre. Mais quand elle a lieu, c’est parce qu’elle a un sens et qu’elle correspond à ce qui a été évalué comme étant l’option la plus adéquate dans une situation donnée. Pour autant, ce modèle présente une dérive inverse à celle évoquée pour la procédure française. En France, la judiciarisation se heurte aux principes même de la justice : religion de la preuve et présomption d’innocence. On ne peut demander aux policiers, aux gendarmes et aux juges d’accomplir un travail psychosocial. En Belgique, les équipes SOS-enfants maltraités se trouvent parfois devant la difficulté d’avoir à faire un travail d’enquêteurs. Evaluer une situation de danger ne se limite pas à entendre un enfant et un adulte, ce dernier pouvant être parfois dans une grande perversité. Seule la méthodologie propre aux techniques policières permette de mener à bien une investigation efficace. A la prééminence de la justice au détriment du psychosocial ici, répond l’importance démesurée donnée au psychosocial sur la justice, là. Mais, peut-être que la Belgique, qui fut l’une des premières nations à se préoccuper de la maltraitance, a moins à se faire pardonner que la France qui a été bien plus tardive à le faire. Son choix, en 1989, de judiciariser à outrance relève sans doute aussi d’une tentative de se donner bonne conscience.
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°776 ■ 01/12/2005