L’Algérie en pointe dans la protection de l’enfance

La loi de 2015 posant un cadre juridique protecteur global en faveur de l’enfance tant en danger que délinquante va nécessiter du temps pour s’appliquer au quotidien.
 
S’ils concernent aux trois quart les jeunes délinquants, les 150 articles de la loi 15-12, adoptée par l’Assemblée Nationale Populaire Algérienne le 15 juillet 2015, prévoient aussi la protection sociale, juridique et judiciaire des enfants abandonnés, privés de leur droit à l'éducation, réduits à la mendicité, maltraités, victimes de sévices sexuels ou exploités économiquement. Plusieurs innovations y sont proposées : la création d'une instance nationale de protection et de promotion de l'enfance chargée de suivre l’évolution de la situation et d’un poste de délégué national à l’enfant auprès du Premier ministère ; l’audition filmée des enfants victimes de violences sexuelles ; l’élaboration d’un dispositif de signalement avec la mise en service d’un numéro vert et d’une adresse électronique... Mounia Meslem Si Amer, ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme fixait le 29 février dernier le programme gouvernemental : « atteindre les objectifs internationaux relatifs à l’octroi de services de qualité pour tous à l’horizon 2020. Ainsi qu’à la réduction de la violence contre les enfants dans le monde à l’horizon 2030 ». Il ne reste plus qu’à concrétiser ce plan ambitieux. En Algérie, les missions de protection de l’enfance relèvent de deux structures. Jusqu’à 12 ans, les mineurs en danger sont pris en charge par les Services d’aide à la famille sous l’autorité de la Direction de l’action sanitaire et sociale. Au-delà de cet âge, ce sont les services éducatifs de milieu ouvert qui gèrent les situations tant d’enfants en danger que de jeunes délinquants. Afin d’accompagner le dispositif existant dans la mise en œuvre du recueil des signalements, l’UNICEF a sollicité l’aide d’un expert francophone. Elle a fait appel à Jean-Pierre Rosenczveig, ancien Président du tribunal pour enfants de Bobigny, pour sa longue expérience en protection de l’enfance et son action de conseil déjà engagé auprès de la Roumanie et de la Côte d'Ivoire. « L’Algérie fait preuve d’une authentique avancée dans sa politique de protection de l’enfance », constate-t-il, tout d’abord. « Mais, elle va se heurter à une culture traditionnelle qui n’apporte encore que peu de légitimité à l’intervention de l’État au sein de la famille. Si les milieux urbains sont sensibles au progrès du statut de la femme et de l’enfant et aux discours portant sur l’éducation non-violente, les zones rurales restent encore largement imprégnées par la toute puissance du père » En 2015, l’Algérie a connu 5.763 cas de violence contre des enfants dont 3.542 cas de violence physique et 1.536 cas de violence sexuelle. Mais, ces chiffres sont bien loin de mettre à jour le continent noir de la maltraitance que l’on connaît dans tous les pays, le nombre de signalements ne correspondant pas vraiment aux violences réellement vécues. Selon le ministère algérien de la santé, 86 % des 2-14 ans ont subi des punitions physiques ou psychologiques par leurs parents ou leurs tuteurs et 67,9% des femmes âgées de 15 à 49 ans pensent que leur mari a le droit de les battre. « Chaque Willaya, l’équivalent de nos préfectures, doit constituer une Cellule de recueil des informations préoccupantes destinée à recevoir les signalements » continue Jean-Pierre Rosenczveig. « S’il est aisé de faire fonctionner un numéro de téléphone vert, en gérant quantitativement les appels reçus, autre chose est d’intervenir qualitativement, en apportant des réponses éducatives et sociales aux situations de maltraitance identifiées. L’intention affichée aujourd’hui va mettre des années à se concrétiser sur le terrain ». Mounia Meslem Si Amer ne dit rien d’autre, quand elle affirme qu’« il faut que les mentalités changent. Vulgariser cette culture de signalement qui nous fait encore défaut et sensibiliser la société civile dans son rôle de protection des enfants contre la violence ».

 

Situation de l’enfance à risque en Algérie
La Ligue algérienne des droits de l’homme décrit l’ampleur du chantier concernant la situation de l’enfance dans son pays : 3 millions d’enfants pauvres, 500.000 déscolarisés, plus de 800.000 souffrant de malnutrition, 250.000 sans domicile, 300.000 exploités dans le marché noir, 25.000 mendiants et 45.000 sans identité connue.  

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1183 ■ 14/04/2016