Le SEMO de Brest (29)
30 années d’articulation entre le milieu ouvert et l’hébergement
Répondre au plus près des problématiques d’un public en grand échec, tel était l’objectif du SEMO. Le but a été atteint au-delà des espérances. Mais jusqu’à quand ?Nous sommes en 1983. La justice des mineurs, tout comme le Conseil général sont alors confrontés à un public d’adolescents rétifs aux actions éducatives traditionnelles. Nathalie Conq, chef de service au SEMO décrit les caractéristiques d’une population qui semble n’avoir guère changé depuis trente ans : l’errance, les fugues, la fréquentation de squats, un lourd passé fait d’une succession d’échecs et de ruptures institutionnelles et/ou de conflits permanents avec le milieu familial, la faible tolérance à la frustration et à la contrainte, éventuellement une accumulation d’actes délinquants et systématiquement un échec scolaire récurrent. Les placer ? Ils s’enfuient ou mettent à mal le lieu d’accueil. Leur proposer un suivi parmi vingt huit autres (moyenne du nombre de mesures en AEMO, par travailleur social, dans le Finistère) ? La fréquence possible des rencontres est notablement insuffisante. Sylvie Nedellec, éducatrice spécialisée qui fit partie des pionniers, raconte l’initiative de ce groupe d’éducateurs travaillant au sein du Dispositif Éducatif en Milieu ouvert, dépendant lui aussi de la Sauvegarde du Finistère, et élaborant un projet de service particulièrement innovant, car proposant le renforcement des moyens face à ce public : offrir à la fois un suivi intensif (chaque professionnel pouvant se montrer d’autant plus réactif, qu’il aurait moins de situations en référence) et une possibilité d’hébergement (chambres d’hôtel ou chez l’habitant, studios d’urgence loués à l’année). Cette proposition est validée par un Conseil général ouvert à la créativité.
Apporter une réponse rapide
Une petite équipe se met en place : cinq puis six éducateurs spécialisés auquel s’adjoindra par la suite un éducateur technique, une secrétaire et une psychologue, sous l’autorité d’un chef de service. Les prescripteurs que sont les juges des enfants ou les attachés territoriaux du Conseil général du Finistère investissent très vite ce nouvel outil. L’agrément initial accordé pour trente mineurs, en 1985, sera porté à trente-neuf, en 2009. « Nous avons toujours refusé d’aller au-delà de ce petit effectif, notre priorité étant de préserver la qualité de l’accompagnement proposé », explique Gwenola Renard, directrice du SEMO, qui poursuit « il est essentiel que chaque intervenant connaisse toutes les situations, afin de lui permettre d’intervenir, même s’il n’en est pas directement référent ». Si les professionnels sont positionnés chacun sur la situation particulière de sept jeunes, ils suivent l’évolution des trente deux autres, au cours d’une réunion programmée tous les quinze jours et qui est dédiée à l’étude rapide de l’évolution récente de chaque adolescent(e) et aux objectifs qui lui sont fixés pour la quinzaine suivante. La continuité est donc l’un des maîtres mots du mode de fonctionnement du SEMO. Mais une attention particulière est accordée à deux autres axes tout aussi fondamentaux : la disponibilité et la réactivité. Détaillons-les. La disponibilité tient dans la permanence éducative assurée 365 jours sur 365, de 9h00 à 22h00 en semaine, de 14h00 à 22h00 le samedi et de 14h00 à 18h00, le dimanche. L’équipe se montre donc en capacité d’intervenir chaque jour, sur des plages horaires atypiques qui ne sont traditionnellement couvertes par aucun service socio-éducatif traditionnel. Quant à la réactivité, si elle est permise par cette présence sur une large amplitude horaire continue, elle l’est tout autant par le faible nombre de prises en charge qui permet d’apporter une réponse rapide.Travail en réseau
Cette capacité à réagir dans de courts délais n’a pas échappé aux partenaires : quand ils s’engagent avec le SEMO, ils savent que tout appel de leur part sera vite traité. Et cela est essentiel pour un service qui s’est donné pour ambition de travailler dans la pluridisciplinarité : toute une série d’actions vient compléter le suivi éducatif proprement dit auprès des jeunes, faisant appel aux ressources tant internes qu’externes. Dès sa création, le SEMO a obtenu le financement de dix places d’hébergement : chambres d’hôtel en cas d’urgence et six studios HLM loués à l’année auprès de Brest Métropole Habitat. Mais, une collaboration étroite s’est aussi tissée, depuis des années, avec l’Association d’Iroise pour le Logement, l’Emploi et les Solidarités (AILES), organisme gestionnaire de trois foyers jeunes travailleurs proposant cent cinquante chambres. Xavier Roux, son coordinateur témoigne : « nous avons appris à nous connaître et à nous faire confiance. C’est ensemble que nous avons créé ce dispositif partenarial, dont l’objectif est de construire avec le jeune un parcours de réussite ». Le SEMO a aussi passé une convention avec le Centre de formation Don Bosco qui intègre les décrocheurs du système scolaire de droit commun. Et ils sont nombreux à avoir abandonné l’école au sein du public accompagné par le SEMO. David Marzin, l’un de ses chefs de service, explique comment son association réussit à re-motiver ses stagiaires : « si notre mission est bien de permettre l’acquisition des savoirs fondamentaux, nous privilégions néanmoins une approche sur les points forts de chacun, plus que sur ses manques. Et nous insistons tout autant sur les postures citoyennes, en proposant aux stagiaires un accès à la culture, mais aussi une immersion par exemple dans l’équipe assurant l’accueil du public du Festival du film court. » Des outils, le SEMO en a donc beaucoup forgés, au cours des années. Reste à les utiliser au bénéfice de jeunes en rupture avec le monde des adultes.Sur le terrain
Car, il ne suffit pas que la mesure soit attribuée, pour qu’elle fonctionne d’emblée. Les rendez-vous ne sont pas toujours respectés par les adolescents, pas plus qu’ils n’honorent systématiquement les engagements qu’ils prennent. Il faut beaucoup de persévérance et de patience pour les apprivoiser, nouer avec eux un lien de confiance, construire pas à pas un projet et le mener à bien. Ce n’est pas avec un haut degré d’exigence et dans la précipitation que l’on peut réussir à les faire progresser, mais en faisant preuve de souplesse, en sachant s’adapter et en partant avant tout de là où ils en sont et non pas de là où on souhaiterait qu’ils soient. Il n’est pas rare que le SEMO valide un hébergement d’un adolescent dans la famille d’un copain ou d’une copine, qu’il aille lui rendre visite dans le squat où il dort ou encore qu’il le rencontre au cours de leur fugue. Les jeunes ont la possibilité de venir se restaurer au service, laver leur linge, y poser des affaires, prendre une douche. Leur accompagnement s’appuie sur leur réseau, en lien avec leur famille ou à distance. Tout est fait, en tout cas, pour maintenir le contact, même après plusieurs absences aux entretiens proposés. C’est Samuel, suivi de 16 à 19 ans après avoir épuisé toutes les solutions proposées en protection de l’enfance (familles d’accueil, foyers, séjour de rupture …). Le magistrat finira par décider d’une main levée de placement et de le confier au SEMO. L’équipe sera bousculée, elle aussi, par les mises en échec qu’il reproduira. La richesse des regards croisés permettra d’éviter l’épuisement et de le mener vers l’âge adulte. C’est François, sortant de l’ITEP à 16 ans sans solution qui pourra être accompagné vers le soin, grâce à une collaboration intense avec la pédopsychiatrie. C’est Sarah, maman à 14 ans, qui sortira progressivement de l’errance, essayant de construire sa place de mère auprès de sa petite fille placée en famille d’accueil.Quel avenir ?
En trente années d’existence, le SEMO a montré son utilité et la pertinence de son projet. Sa démarche pédagogique s’est consolidée au cours des années. C’est le constat de l’évaluation externe menée en 2014 par le cabinet Pennec Études Conseils constatant que ce ne sont ni les professionnels, ni les jeunes qui se trouvent au centre du service, mais bien « l’interaction entre jeunes-familles-professionnels ». Le SEMO poursuit-il est « reconnu pour son sérieux, sa réactivité en un mot par son professionnalisme, par les partenaires audités. Les parents et les jeunes, également audités, expriment une forte satisfaction. » Le SEMO est d’ailleurs victime de son succès, puisqu’il a du instaurer, depuis quelques années, une liste d’attente de dix à quinze situations, soit six à huit mois de délai, nuisant ainsi au principe de réactivité qui fait sa raison d’être. Pourtant, le Conseil départemental du Finistère vient de remettre en cause son mode de fonctionnement. Un reproche à lui faire ? Aucun. Le seul argument avancé, c’est la nécessaire convergence tarifaire. Les collectivités locales étant confrontées à la baisse des dotations de l’État, d’un montant de vingt huit milliards en quatre ans, il va leur falloir réaliser des économies. Le Finistère a fait le choix de réduire d’un million d’euros le budget de la protection de l’enfance. Le prix de journée perçu par le SEMO est plus important que celui des autres services d’AEMO à moyens renforcés du département ? Logique, puisqu’il assure l’hébergement potentiel de dix jeunes. Il doit s’aligner et réduire le niveau de ses prestations. La décision n’est pas encore tout à fait finalisée, la Sauvegarde de l’enfance revendiquant de trouver elle-même les moyens de répartir les économies demandées. Mais voilà, en tout cas, un beau cadeau d’anniversaire pour un service qui vient de fêter ses trente ans !« Je m’appelle Clara P. J’ai 17 ans. J’ai vécu difficilement le divorce conflictuel entre mes deux parents. J’ai fait trois collèges, durant ma troisième. Petit à petit, je ne me suis plus rendue à l’école. J’étais déjà suivie par un éducateur. Mais, je ne le voyais presque jamais. En septembre 2014, je suis rentrée au SEMO. Ils m’ont beaucoup aidée. C’est vrai qu’au début, cela a été un peu difficile de raconter toute ma vie à des inconnus. En même temps, j’ai eu l’impression d’être enfin écoutée. Je suis suivie par une référente. Mais, je connais tous les autres éducateurs que je peux contacter quand elle est absente. A chaque fois que j’ai eu besoin d’aide, j’ai pu compter sur eux. Ils m’ont trouvé un appartement. Ils m’ont fait entrer à Don Bosco. Aujourd’hui, je sais ce que je veux faire : aide puéricultrice. Je vais préparer le concours d’entrée. Ce ne sera pas facile, car il y a beaucoup de candidats. Mais, je me sens très motivée par ce projet. A mes 18 ans, si j’ai besoin d’aide, je sais qu’ils pourront encore m’accompagner, grâce à un contrat jeune majeur. »
Faire avec, pour vivre avec
Gérald Pedemay est éducateur technique au sein du SEMO. Il travaille dans un petit atelier bien rangé où chaque chose est à sa place. Un mur est recouvert d’empreintes de chaque outil. Tout doit être rangé, afin qu’on puisse trouver facilement ce que l’on cherche. Le cadre ainsi posé n’est pas un caprice d’adulte. C’est une nécessité pratique, pour réussir à bien travailler. Gérald Pedemay reçoit individuellement chaque jeune, sur une ou plusieurs heures, en semaine. Il a passé convention avec un club de voitures radio commandées, dont il est par ailleurs membre, pour piloter des modèles de compétition sur sa piste aménagée. Cela lui permet d’aborder les adolescents du SEMO, à partir d’une activité ludique. Ce n’est qu’ensuite qu’il leur propose de participer à l’entretien, au montage, au démontage et à la réparation des petites voitures. Le lien une fois tissé, Gérald Pedemay présente au jeune la possibilité de participer à différentes activités plus productives, rémunérées 5 € de l’heure : entretien d’espaces verts et de jardinières, lavage des véhicules de l’association, remise en état de petites voitures, fabrication de maisons de poupées pour les petits du SAFA . On est là dans un apprivoisement et dans un cheminement qui, à travers l’apprentissage d’un savoir faire en commun, favorise l’émergence d’un savoir être et d’un savoir vivre.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1171 ■ 15/10/2015