Le SAPMN

Entre Internat et AEMO, un dispositif original : le S.A.P.M.N.

Le dispositif français de protection de l’enfance en danger possède bien des qualités. Pourtant, certaines de ses rigidités obligent parfois les familles et les intervenants sociaux à marcher sur la tête. Ce n’est pas les procédures qui s’adaptent à la complexité des situations, mais les situations qui doivent rentrer de force dans des cases pré établies, au détriment de la nécessaire personnalisation des solutions à adopter.

Dans une période où il est plus fréquent d’ouvrir le parapluie et de se réfugier dans une frileuse position attentiste que de prendre des risques, des acteurs de la protection de l’enfance d’horizons divers (magistrats, directeurs d’associations, aide sociale à l’enfance) ont su construire un outil aux limites de la légalité, mais qui a l’immense avantage de s’adapter aux besoins des familles.
 

Illégal mais terriblement efficace

Dans le département du Gard, comme ailleurs, le passage brutal d’un enfant de son placement en internat éducatif à sa famille naturelle pose parfois problème. Les équipes éducatives ont souvent exprimé leur souhait d’un retour progressif qui permettrait que les uns et les autres se préparent et s’ajustent à cette nouvelle situation. Certaines maisons d’enfants ont, dès le début des années 80, expérimenté des dispositifs individualisés. Mais cela se faisait au coup par coup, d’une manière un peu bricolée. C’est que la loi est relativement rigide. Le juge des enfants a, à sa disposition, deux mesures bien distinctes pour faire face à une problématique de mineur en danger : soit il désigne un service éducatif en lui demandant d’assurer un travail au sein de la famille, soit il confie l’enfant à un tiers (qu’il soit une personne physique ou morale). Mais, rien ne l’autorise à prendre une mesure de l’entre deux : l’enfant est soit sous la responsabilité de ses parents (et est donc chez eux) soit du service ou de la personne désignée à cet effet (et il n’est pas dans sa famille). Le Service d’Adaptation Progressive en Milieu Naturel (SAPMN) propose une solution médiane qui, pour avoir une grande pertinence éducative, n’en est pas moins illégale : autoriser qu’un enfant soit en permanence avec ses parents, alors même qu’il est placé sous la responsabilité d’une maison d’enfant ! Comment cela se passe-t-il concrètement ? C’est le magistrat qui indique à la famille, dans son cabinet, qu’il confie l’enfant à une maison d’enfants mais que celui-ci vivra au domicile familial. Il précise que cette mesure  donne le pouvoir à la maison d’enfants de suspendre l’hébergement soit à la demande de la famille, soit en cas de danger d’une manière autoritaire. Au départ, l’idée était bien d’aménager une phase de transition entre la période d’hébergement en internat et le retour définitif. L’enfant restait officiellement placé, mais faisait un séjour test prolongé dans sa famille, accompagné par un intervenant qui s’inscrivait dans le « faire avec » ou « le faire faire » et non plus dans le faire à la place des parents. Cette aide durait jusqu’au moment où la cohabitation de l’enfant avec ses parents s’avérant concluante, on pouvait envisager un retour définitif (avec main levée de la mesure de placement). Mais, très vite, les magistrats ont utilisé ce dispositif, pour tenter d’éviter la mesure de placement en internat. Seul département à officialiser cette nouvelle procédure, le Gard a aujourd’hui banalise le Sapmn comme l’une des mesures du dispositif éducatif aux côtés de l’aide éducative auprès des parents (judiciaire ou administrative), du placement familial, de l’internat éducatif ou du simple accueil de jour (aide aux devoirs, activités du mercredi ...).
 

Du côté du Conseil général

Madame Bécue, Directrice du Service Famille Enfance, confirme que ce dispositif a quitté le champ de l’expérience pour devenir une réponse à part entière qui s’articule avec les autres outils disponibles. La démarche est déjà ancienne. Les expérimentations qui s’étaient déroulées tout au long des années 80, ont abouti à une conceptualisation qui a trouvé sa légitimité dans l’élaboration du schéma départemental réalisé en 1990. Progressivement, des lits d’internat (ils sont passés de 422 en 1988 à 323 en 2000) ont été transformés en places de Sapmn (100 en 1988 à 213 en 2000). Début 2000, une charte a été conçue, dans le cadre de la révision du schéma départemental. Elle précise les grands axes de cette procédure. Le Sapmn ne se confond pas avec une AEMO renforcée qui, quoi qu’intensive, n’autorise pas l’éducateur qui se déplace à domicile à faire autre chose que du soutien et de l’assistance, l’exercice de l’autorité parentale restant intacte. Alors que dans le cadre du Sapmn, l’intervenant peut, à tout moment, être amené à procéder à un retrait autoritaire de l’enfant, s’il constate un danger. L’éducateur d’AEMO confronté à la même situation devra passer par un signalement (y compris en urgence auprès du procureur). Cette mesure nécessite un minimum de compétences des parents. Elle touche ses limites dès que l’intervention du professionnel devient trop intrusive : elle risque alors de placer les parents en porte-à-faux, l’éducateur venant en permanence contester leurs décisions. Il vaut mieux, dans ce cas-là, s’orienter vers un internat classique. La charte fixe aussi des détails pratiques comme par exemple le quota de prise en charge (un équivalent temps plein pour  5 ou 6 mineurs suivis), le temps moyen disponible pour l’enfant de 10 heures hebdomadaires (toutes interventions confondues auprès des parents, du jeune ou des partenaires mais aussi des démarches, réunion, écrits professionnels). C’est du ressort de chaque MECS. Le succès qu’a remporté le Sapmn dans le Gard, a souvent été relié à la présence de personnalités de magistrats ou de Directeurs. Et, c’est vrai que la stabilité d’un certain nombre d’acteurs tant au niveau du conseil général que des associations ou du tribunal pour enfant (ainsi que leur envie commune de disposer d’un outil adapté) a permis une évolution sereine qui a pu se dérouler dans le temps dans le temps : cela fait quand même plus de 20 ans que le mouvement a été amorcé. La pérennité du dispositif ne risquerait-elle pas d’être menacé en cas de départ des  personnes qui l’ont tant soutenu ? Les trois juges des enfants à l’origine de cette création ont gagné d’autres cieux. Leurs remplaçantes n’ont pas remis en cause la mesure. Madame Bécue n’imagine pas comment serait possible un retour en arrière, tant la pratique du Sapmn s’est banalisée et est vraiment entrée dans les habitudes. Pour autant, elle reconnaît que du fait de la montée de la frilosité et des hésitations face à la prise de risque à laquelle on assiste, s’il s’agissait aujourd’hui de créer un Sapmn, elle ne sait pas si son administration prendrait cette responsabilité...
L’une des raisons du succès de cette mesure, c’est aussi la large concertation qui a entouré son élaboration et le choix qui a été fait, une fois le cadre posé, de laisser à chacune des douze maisons d’enfants du département qui l’ont toutes adoptée, la liberté d’en définir les modalités d’application.
 

Le choix de la non-spécialisation

L’association Samuel Vincent n’est pas récente puisqu’elle a été créée en 1892. Elle s’est consacrée, pendant longtemps, à l’internat scolaire en y incluant deux classes de rattrapage pour enfant souffrant de dyslexie. Au début des années 70, la pension, qui aujourd’hui revient à la mode, commence à disparaître un peu partout. L’association décide alors de se diversifier. Elle recrute un nouveau Directeur, Monsieur Polge qui réorganise les services : une MECS délocalisée en quatre unités, 27 appartements recevant des jeunes majeurs, un collège spécialisé vont ainsi émerger progressivement... A quoi se rajoute une action originale s’il en est : le complément apporté à la protection de l’enfance par des actions tout à fait innovantes dans le champ de la prévention primaire : accueil d’enfants de moins de 6 ans dans un Centre aéré, ludothèque, accompagnement scolaire, gestion d’un centre culturel, lieu de spectacles et d’expositions, mais aussi de rencontres entre 14 associations... Ce dynamisme ne pouvait que favoriser l’adhésion de l’association aux principes du SAPMN. Le choix a été fait ici de ne pas spécialiser une équipe qui ne se consacrerait qu’à cette fonction. Ce sont aussi bien les équipes d’internat que celles d’accueil de jour qui gèrent ces mesures. Les interventions au sein de la famille font l’objet d’un projet écrit qui définit les objectifs fixés : action de soutien à la parentalité, action en direction de l’enfant, participation de celui-ci à des moments collectifs... L’outil qui est proposé est adaptable dans la totalité de ses modalités aux besoins de la famille. Si une situation de tension survient et qu’une prise de distance apparaît nécessaire, un cadre éducatif est contacté (une astreinte permet une disponibilité 24 heure sur 24) qui évalue le danger et apprécie la nécessité du retrait. Un courrier est alors aussitôt rédigé, constatant la dégradation de la situation et informant de la décision d’hébergement et l’endroit où sera accueilli l’enfant. Ce document est apporté immédiatement à la famille. La non-spécialisation permet que ce soit le même référent qui soit présent aux côtés de l’enfant ou du jeune,  au cours de certaines soirées de son séjour en internat.
 

Le choix de la spécialisation

Le foyer Lumière et Joie, quant à lui, a préféré spécialiser une équipe de professionnels qui ne se consacre qu’au Sapmn. Quatre éducateurs (pour 3,25 ETP), une psychologue à mi-temps, un médecin psyhiatre à 1/8ème de temps, sous l’autorité du directeur adjoint ont en charge 17 situations.  Deux réunions de régulation ont lieu chaque semaine. Ce faible nombre de suivis permet une disponibilité des intervenants qui, toutefois, sont attentifs à éviter l’intrusion dans l’intimité des familles. Même s’il arrive que l’enfant ou le jeune soit accueilli sur des temps collectifs de repas, de soutien scolaire ou de sortie (le mercredi ou pendant les vacances), le travail essentiel est tourné vers le soutien à la parentalité. Il s’agit d’éviter de se rendre indispensable et surtout de ne pas entrer en rivalité avec les parents. Là aussi, un contact est toujours possible 24 heures sur 24 par l’intermédiaire des astreintes de cadres assurés dans la maison d’enfant adjacente. En cas de nécessité, l’enfant ou l’adolescent(e) peut toujours y est admis(e). Cet accueil est assuré par l’équipe d’internat, l’éducateur du Sapmn restant présent, que ce soit dans la relation avec la famille ou, par exemple, pour effectuer les trajets pour préserver la scolarisation dans le quartier d’origine. La moyenne de prise en charge d’une telle mesure est de 2 ans. Mais elle peut aller jusqu’à 5 voire 6 ans. La vocation du Sapmn est bien de cheminer vers un retour en famille, sans qu’il y ait besoin d’un relais d’Aemo  (même si cela arrive quand même parfois). Les difficultés familiales auxquelles l’équipe fait face sont le plus souvent liées à des problématiques de maladie mentale, de toxicomanie ou d’alcoolisme. L’habilitation permet de suivre des enfants âgés  de 3 jusqu’à 21 ans. L’un des critères de réussite (ou d’échec) de la mesure de Sapm est l’adhésion de la famille. Perçues parfois avec défiance au départ, il n’est pas rare que les parents investissent la procédure au point de faire eux-mêmes la demande de prise de distance pendant quelques jours, voire même de souhaiter que les enfants plus jeunes bénéficient à leur tour du dispositif.
 
Malgré la qualité de cette mesure qui a montré son efficacité et sa pertinence, le Sapmn ne s’appuie sur aucun texte légal. Aucune famille n’a jamais fait appel d’une décision de justice fixant de telles modalités. Il est fort probable que dans cette hypothèse, le jugement serait invalidé. Il y a donc une vraie prise de risque tant des associations qui se sont engagées dans cette démarche que des magistrats qui l’autorisent, mais le risque est partagé. Le Sapmn a bénéficié d’avis favorable tant du rapport Naves-Cathala que du rapport Roméo. Il a été évoqué lors des Etats généraux de la protection de l’enfance réunis à la Sorbonne le 15 novembre 2001. Mais, toute cette agitation n’a pas abouti au moindre projet de régularisation dans la loi de ce que le quotidien du terrain a démontré comme nécessaire et utile. On peut le regretter, tout en remarquant que ce n’est pas la première fois que l’on constate un tel décalage navrant et peu encourageant pour toutes celles et tous ceux qui se démènent pour innover.
 
Contacts :Association Samuel Vincent :27 rue Saint Gilles 30000Nîmes Tél. : 04 66 38 84 00
Lumière et Joie : 66 impasse du Château Silhol BP 1457 30017 Nîmes cedex Tél. : 04 66 02 12 20
Roselyne Becue, Directrice du Service Famille Enfance : 10 rue Vielle Perdix 30000 Nîmes. Tél. : 04 66 76 75 85


Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°638 ■ 17/10/2002