Lien familiaux Plein-Sud et SAPMN

Vers le rétablissement des liens familiaux

Le dispositif français concernant l’enfance maltraitée s’est notablement étoffé à partir de la loi de 1989. La prise de conscience n’était pas si vieille, puisque c’est au milieu des années 80 qu’on assiste à un début de mobilisation tant des professionnels que de l’opinion publique sur cette question.
Depuis, les progrès réalisés sont tout à fait encourageants. Que ce soit les services de l’Aide Sociale à l’Enfance ou de Justice ou encore les forces de l’ordre, les intervenants savent de mieux en mieux réagir.
Pour autant, si l’on arrive à protéger l’enfant en le mettant à l’abri des comportements coupables des adultes qui le menacent, on a encore mis au point bien peu d’outils pour venir en aide aux parents en difficulté. Les mesures de type Aide Educative en Milieu Ouvert ne permettent qu’un suivi relativement éloigné du cercle familial. Voilà pourquoi les deux expériences du Service Social Innovant « Plein Sud » à Six-Fours-Les-Plages et du Service d’Adaptation Progressive au Milieu naturel de Nîmes sont tout particulièrement intéressantes.
 

« Plein-Sud » ou le travail sur la dysparentalité

Au départ, il y a tout un savoir-faire lié à une pouponnière ouverte en 1960 recevant pendant des années des enfants maltraités qui, une fois soignés, sont rendus à leur famille. Mais, tant qu’on ne prend pas en charge les problèmes des parents -le plus souvent eux-mêmes anciennement maltraités- leur propre souffrance et leurs difficultés à élever leurs enfants, les conditions de la récidive perdurent.
C’est en 1988 qu’émerge au sein de la pouponnière une réflexion qui aboutit à la constitution d’un groupe de travail composé de spécialistes de tous les horizons. Après une année d’élaboration naît l’A.E.P. (Association Enfants Problèmes, Parents en difficulté) qui se fixe pour objectif d’instaurer un dialogue et une écoute avec les familles afin que puisse se dire sans tabou et sans jugement de valeur les problèmes rencontrés: rejet de l’enfant,  agressivité, tension, ...
Suite à la fermeture le 30 septembre 1995 de la pouponnière au sein de laquelle intervenait l’association, un  projet de Service Social Innovant est déposé et aboutit avec l’appui du Conseil Général à l’ouverture d’un centre tout à fait original le 1er décembre de la même année, financé par l’Aide Sociale à l’Enfance.
 

Le S.S.I. « Plein Sud »

Le centre propose 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 l’accueil de 20 enfants de 0 à 6 ans, victimes de mauvais traitements. Leurs parents sont reçus en externat. Jusque là, rien de très innovant. Ce qui est nouveau, c’est que l’hébergement est possible aussi pour 10 adultes. Ce dont il s’agit, c’est de travailler au quotidien sur la relation des parents avec leur(s) enfant(s) afin de favoriser chez eux l’émergence des capacités éducatives et de leur proposer un apprentissage des comportements adéquats. La plupart des adultes qui sont ainsi accueillis sont eux-mêmes en grande difficulté. Ce qui leur est proposé, c’est bien une structuration de leur propre vie au travers-même de l’exercice de la fonction parentale. Cela se concrétise sous la forme d’ateliers quotidiens auxquels ils participent: ménage (les chambres doivent être propres et rangées), cuisine (apprendre à assurer un repas équilibré permettant la croissance de l’enfant), couture, économie familiale (gestion du budget) etc... Des activités extérieures sont organisées afin de permettre aux parents de partager des loisirs communs avec leur(s) enfant(s): randonnées-vélo, gymnastique, natation, voile. Parallèlement, l’adulte se voit proposé une prise-en-charge thérapeutique spécifique tant individuelle que collective. Quant à l’enfant, il bénéficie d’ateliers d’éveil tant scolaires que psycho-moteurs ou sensitifs.
 

Le projet éducatif

L’établissement a choisi de tout planifier, quantifier, baliser. Rien n’est laissé au hasard. Tout est programmé quart d’heure par quart d’heure, même si une telle organisation est vécue avec souplesse. L’objectif consiste bien à rendre les personnes accueillies suffisamment autonomes pour arriver à se prendre en charge et à assurer avec leur enfant une vie familiale exempte de mauvais traitements. L’équipe éducative reste attentive aux réactions quotidiennes. L’apprentissage du contrôle des réactions violentes est une conquête de tous les instants que l’énervement ou le découragement peuvent réduire à néant à tout moment.
Dès le début, les responsables de Plein-Sud ont fixé les conditions de l’accueil. « Notre méthode a ses limites: nous ne pouvons accepter les cas pathologiques relevant de la psychiatrie et les grands pervers. En effet, un tel établissement peut réaliser ses objectifs si les parents sont volontaires et si des règles régissent le fonctionnement de l’institution ». De fait, des entretiens préalables et une adhésion au projet éducatif conditionnent une admission qui se concrétise sous la forme de la signature d’un contrat. Différentes étapes ponctuent l’évolution de chacun au sein de la structure. A l’issue d’une période de 6 mois, l’inspecteur de l’ASE décide de la prolongation du séjour, du placement des enfants en famille d’accueil ou en foyer ou de leur retour auprès de leurs parents.
Après 1 an de fonctionnement, tout un travail a été accompli et un début d’expérience a été accumulé dont un bilan sera dressé fin 1997. Il sera intéressant alors de connaître les taux de réinsertion réussie ainsi que celui des récidives. On pourra notamment s’interroger sur la qualification des personnels. Sur 24 salariés,  14 sont affectés au suivi éducatif tant des enfants que des parents, dont seulement 1 éducateur et 2 moniteurs-éducateurs ! Pour autant, ce type de dispositif semble répondre directement à la problématique de la dysparentalité. Héberger en même temps parents et enfants et les accompagner conjointement dans un processus de restauration de lien affectif à la base de
de la cohésion familiale constitue un projet des plus pertinent dont on attend beaucoup.
 

Entre AEMO et internat une expérience originale: le   S.A.P.M.N. (1)

Le dispositif français de protection de l’enfance propose aujourd’hui deux options impliquant l’intervention des services sociaux: celle de l’action d’un travailleur social au sein-même de la famille (le fameux milieu ouvert) et celle de l’internat. La première apporte aide et conseil, mais ne peut faire à la place. La seconde supplée la famille, en apportant par là-même une disqualification des parents. L’une et l’autre peuvent fort bien correspondre aux besoins constatés dans certains cas. Il manque toutefois une solution intermédiaire. Certaines situations sont en effet trop dégradées pour se contenter du passage d’un éducateur une fois par semaine, mais pas assez détériorées pour envisager la séparation d’avec le milieu familial. Inversement, certains retours d’enfants placés sont retardés car on juge les acteurs trop fragiles. Pourtant, la pérennisation du jeune en foyer peut risquer à la fois de perturber son séjour (fugues, passages à l’acte) et de gâcher les conditions de réintégration du milieu naturel.

Un certain nombre d’expériences ont été tentées depuis quelques années pour essayer de trouver une solution plus adaptée. Il en va ainsi de l’exemple à Nîmes des « Services d’Adaptation Progressive en Milieu Naturel ». De quoi s’agit-il ? L’autorité judiciaire confie un enfant à une structure qu’elle charge d’une tâche de substitution partielle de la fonction parentale. Pour autant, l’enfant peut rester hébergé au sein de sa famille. Après évaluation de la situation, un dispositif individualisé est mis en place. Cela peut pendre la forme d’une intervention relativement massive du travailleur social au sein de la famille. L’enfant peut aussi venir passer les périodes de midi, post-scolaire et de loisirs à l’internat et coucher chez lui tous les soirs. La symbolique du lever et du coucher s’en trouve alors préservée et les liens affectifs renforcés. Mais ce n’est là qu’un cas de figure parmi tant d’autres. Ce qui caractérise ce genre de fonctionnement, c’est bien la souplesse et la capacité d’adaptation. On trouve à l’origine de ce dispositif, la volonté de travailler non seulement sur l’enfant, mais aussi sur la famille et le projet de retour en son sein. Cela implique que la structure n’ait plus l’obligation de soumettre chacune des modulations des modalités d’hébergement à une décision judiciaire. Le Juge des Enfants ordonne alors une mesure éducative et confie à un service la responsabilité des outils éducatifs adéquats. Cela nécessite aussi un ajustement des institutions et de leurs pratiques de travail. Mais ce n’est pas là l’obstacle le plus important. En effet, quand on reprend l’article 375 du code Civil qui fonde l’action du magistrat, il apparaît une contradiction entre le retrait de l’enfant et son hébergement quotidien au sein de la famille. Sauf à concevoir par retrait une séparation dans une acception plus symbolique que physique: ce qui importe alors c’est d’établir une distance par rapport au pouvoir parental quant au modalités d’éducation. Si celles-ci sont confiées à un tiers, alors, le fait que l’enfant couche tous les jours dans sa famille n’est plus un problème juridique. C’est du moins l’interprétation qu’en propose Jean Launay, Juge des Enfants à Nîmes. On mesure à quel point de tels mécanismes sont tributaires de la personnalité du magistrat en place qui l’autorise ou non. Ce qui manque en fait, c’est un texte cohérent et fondateur qui garantisse l’existence d’un tel service dont on a pu mesurer l’intérêt et la pertinence. 

Ce qui s’est passé dans le département du Gard est assez exemplaire. Les échanges entre les différents partenaires ont permis la mise au point d’un schéma départemental. Conseil Général, PJJ, Etablissements, Services d’AEMO, Services d’investigation, Juges des Enfants se sont rencontrés et ont travaillé de concert pour confronter leurs analyses et leurs pratiques, établir le constat de l’existant et lister les besoins nouveaux. C’est dans cette logique qu’il est apparu très vite que l’hébergement en dehors de la famille constituait un outil parfois indispensable, mais au même titre que l’intervention d’une travailleuse familiale ou un suivi psychologique. C’est donc avec cette volonté de faire correspondre la prise de distance quand elle s’avère nécessaire à chaque situation particulière, qu’est né le S.A.P.M.N.. Celui-ci fonctionne depuis 10 ans et il fonctionne bien.
Après ces premières années d’expérience, quelques questions toutefois se posent comme celle de la dérive toujours possible que constituerait la substitution progressive de l’AEMO par le SAPMN (qui constituent deux mesures aux objectifs et modalités différentes), mais aussi celle concernant l’effet que peut avoir à long terme, l’intrusion d’un travailleur social dans l’intimité de la famille.
Comme pour d’autres innovations, le SAPMN apparaît comme un moyen nouveau et précurseur proposant une solution originale aux besoins des familles en difficulté. Les décideurs seraient pertinents de s’en inspirer pour que de telles pratiques ne restent pas isolées mais puissent trouver d’autres lieux d’expérimentation.
 
(1) cf. « A propos des ’’Services d’Adaptation Progressive »: un autre aménagement de la séparation » communication de Jean Launay au congrès du GRAPE en Novembre 1995 (« Pour-suivre les parents des enfants placés », érès, 1996)
 
 
 Les SESSD ou le travail au sein des familles
Le maintien des liens familiaux ? Cela fait 25 ans que les Services d’ Education et de Soins Spécialisés à Domicile y travaillent. Ils sont au nombre de 250 et prennent en charge plus de 10.000 enfants. A la base de leur création, une question qui peut sembler aujourd’hui évidente: l’éducation des enfants atteints de handicap doivent-ils passer inévitablement par l’éloignement de leur famille ? Ou bien il y a-t-il de la place pour un travail à domicile ? Une telle idée s’est d’abord heurtée aux réticences institutionnelles. Et puis, les résultats obtenus sur le terrain ont permis de pérenniser l’expérience. Educateurs, médecins, kinésithérapeutes, psychomotriciens, psychologues, ergothérapeutes, orthophonistes, assistantes sociales, voire des enseignants spécialisés détachés de l’Education Nationale se déplacent et aident l’enfant et sa famille que ce soit à domicile ou encore dans les crèches et dans les  différents niveaux de la scolarité (maternelle, primaire, collège, lycée). Il s’agit de conseiller et d’accompagner les usagers, d’approfondir le diagnostic, d’aider au développement de l’enfant, à préparer son orientation ultérieure et à soutenir les projets d’intégration scolaire.
Les nouvelles annexes XXIV ont officialisé ces structures placées sous la compétence de l’Etat et financées par la Sécurité Sociale. Elles peuvent être attachées à un établissement spécialisé pour enfant ou adolescent handicapés, à des consultations hospitalières ou à des dispensaires ou encore être autonomes.
Cette pratique restitue les parents dans un rôle essentiel: celui d’être au coeur de la prise en charge de leur propre enfant.
 
 
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°384  ■ 06/02/1997