Association Carisport 2 - Cholet (49)

Un dimanche d’été dans les Mauges

Je n’ai jamais compris la raison profonde qui pousse 22 bonshommes à se disputer un ballon, il serait si simple de leur en filer un à chacun ! Aussi, en 1998, ai-je boycotté activement le dernier Mondial. Et me voilà, un peu plus d’un an après, sur le stade de Le May-sur-Evre, tout près de Cholet dans le pays des Mauges. Une immense pelouse foulée par deux équipes, une sono crachant du Johnny, une annonce pour un tel qui recherche un trousseau de clés ou un autre qui a perdu sa banane, les buvettes où coule un petit Anjou ma foi pas dégueu : il n’y a pas de doute, je suis bien sur un terrain de foot ! L’ambiance est, convenons-en, bon enfant, ce qui me ferait presque douter de mes préjugés. Pourtant, il y a un certain nombre de détails qui clochent : ce n’est pas comme sur ces dizaines de milliers de terrain de foot qui accueillent des équipes chaque dimanche. Tout d’abord, ici, pas de holas frénétiques, ni de hordes de supporters avinés hurlant leur haine et leur bêtise, mais, un public averti et fidèle assuré d’un spectacle de qualité. Sur le terrain,  des 12 équipes participantes, aucune ne provient de la région proche, ce qui limite grandement les excès de chauvinisme. Rien qu’en les regardant jouer, on peut faire un tour de France : Nantes, Laval, Rennes, Le Havre, Paris, Lens, Metz, Sochaux, Cannes, Marseille, Bordeaux, Toulouse. Et puis, tous les joueurs qui se produisent sur la pelouse, ont moins de 17 ans et sont d’une excellente qualité technique (pour autant que je puisse en juger !). C’est qu’ils viennent de Centres de formation de grands clubs de foot (dont huit des seize clubs engagés en première division et quatre issus de la seconde division). Nous sommes au tournoi annuel de Carisport, celui dont les bénéfices accumulés serviront à financer des actions d’insertion par le sport des populations en difficulté (cf . « Carisport ou le sport épanoui au service de l’épanouissement du sport »)

 

Efficacité ou éthique ?

Le football de papa est depuis longtemps remisé aux oubliettes, au moins pour ce qui concerne la compétition de haut niveau. A l’image de ce qui se passe dans les cercles de la grande industrie ou du commerce, la seule loi qui compte aujourd’hui, c’est la rentabilité, l’argent investi et le retour sur investissement qu’on peut en attendre. La plupart des grands clubs achètent leurs joueurs des fortunes qui sont autant d’insultes aux plus démunis, à l’image de Nicolas Anelka transféré début août d’Arsenal au Réal de Madrid pour la modique somme de … 220 millions de Francs ! Peut-être RMI et coupe du monde sont-ils la version moderne du « panem et circencem » (le pain et le cirque ) avec lesquels les empereurs romains garantissaient la paix sociale ? Autre moyen de préparer l’avenir pour ces mêmes clubs : le recrutement des jeunes espoirs dans les Centres de formation. Des « détecteurs » sillonnent les matchs des clubs amateurs afin de repérer les jeunes prodiges, procédant d’une manière identique à ces « chasseurs de tête » venant débaucher les cadres supérieurs dans l’industrie. Pour autant, une fois intégrés dans les centres seuls 10% d’entre eux perceront en devenant professionnels. Les 90 autres %  deviendront éducateurs sportifs ou réintégreront la vie professionnelle. La plupart de clubs se font un point d’honneur à assurer aux jeunes ainsi recrutés une formation générale allant jusqu’au BAC, propre à préparer leur avenir, étant donné le taux élevé de « déchet ». La course aux résultats et aux victoires à tout prix dans les différents championnats rendrait-elle incontournable la politique actuelle des grands clubs ? Le choix de Gérard Batlles, entraîneur du FC Toulouse est tout autre. C’est délibérément qu’il a opté pour la formation de ses joueurs à partir des premiers entraînements de minimes. C’est peut-être ce rejet du spectacle donné par les « marchands de viande » qui le rend si proche de l’esprit de Carisport. Participant depuis 7 ans à ce tournoi, il explique bien ce qu’il en retire. « C’est une bonne préparation au championnat qui commence début septembre » reconnaît-il. « Mais ceux qui viennent là uniquement pour gagner n’ont rien compris » continue-t-il. « Bien sûr, chacun a envie de l’emporter.» Mais, la participation à ce type d’opération va bien au-delà : « cela permet de montrer à nos jeunes joueurs que l’école de la souffrance n’est pas que dans le sport de haut niveau ». C’est bien la confrontation aux difficultés des personnes handicapées qui leur permet de « relativiser leurs propres souffrances. » C’est vrai qu’être accueillis –comme ce fut le cas en 1998- par une marraine obligée de se déplacer en béquilles qui s’adresse à vous en vous expliquant que vous êtes jeunes, que vous êtes forts, que vous êtes beaux, mais que ce qui compte le plus, c’est de laisser parler les qualités du cœur, peut constituer un souvenir fort et impressionnant quand on a 16 ou 17 ans. Et Gérard Batlles de se féliciter des bonnes conditions dans lesquelles ils sont reçus chaque année dans les familles de la commune de La Séguinière. Les adolescents rentrent enchantés, tout comme leurs hôtes qui sont tout prêt à recommencer l’année suivante. Cet enthousiasme n’est pas partagé par tous : ainsi l’Olympique de Marseille dont les joueurs et les dirigeants ont préféré l’hôtel et se sont montrés peu respectueux et particulièrement agressifs sur le terrain.  Le nombre de places dans le tournoi peut difficilement être augmenté. Monaco, Lyon, Auxerre sont intéressés. Ceux qui ne respectent pas l’esprit de Carisport n’ont pas forcément leur place garantie.

 

Combler le fossé entre valides et non-valides

Face à l’argent-roi et au culte de la réussite et du « meilleur », voilà une opération qui met en contact l’élite physique de la nation avec une association qui s’engage à aider les plus cassés et les plus faibles. Rares sont les occasions de voire cohabiter les valides et les non-valides, surtout dans le sport de haut niveau. Alors, que les jeunes footballeurs s’affrontaient,  Serge Biron, sportif international et parrain de cette huitième édition de Carisport, faisait une démonstration de la pratique du tennis en fauteuil roulant. Sa précision, sa vélocité, sa puissance ne pouvaient qu’étonner, tant le grand public est peu au fait des exploits dont peuvent s’enorgueillir bien des athlètes porteurs d’un handicap. Lionel Dixneuf, parrain du tournoi de 1997 a participé au championnat du monde de basket et entraîne des valides à ce sport. Il déplore que le handicap soit en France, « un sujet tabou dont on ne parle jamais ni à l’école, ni dans la famille, ni au boulot » du fait même que les personnes qui en sont atteintes sont reléguées dans des structures spécialisées y compris d’ailleurs en matière de fédération sportive. Cette distance entre la culture des valides et celles des personnes porteuses de handicap (que celui-ci soit mental, physique ou social) se ressent y compris dans l’aide caritative comme en témoignera une militante de l’association « Handi Cap Evasion » (cf encadré). Son appréhension était grande de retrouver cette incompréhension et cette difficulté à se représenter l’autre lors du dépôt de leur demande de financement. Allait-elle avoir à faire, une fois de plus à une structure se limitant à se donner bonne conscience et à accomplir sa B.A. ? Il n’en a rien été. Elle reconnaît elle-même avoir trouvé en Carisport des interlocuteurs attentifs au public handicapé, ouvertS sur leurs difficultés et prêts à apprendre et mieux connaître.

Un tournoi de football peut difficilement se terminer sans une finale. Carisport n’a pas dérogé à la tradition. En 1998, c’était la marraine qui, du haut de ses béquilles, avait donné le coup d’envoi. Cette année, c’est un ULM qui sera venu déposer le ballon de la finale au centre du terrain, précédé d’un envol de pigeons. Résultats de la finale : Le Havre A.C. l’emporte 3-1 contre le Stade Rennais.

Au terme de bientôt dix ans d’activité, Carisport aspire à changer de braquet. Les sponsors qui aujourd’hui fournissent les 2.000 bouteilles d’eau nécessaires aux équipes ou les milliers de steaks hachés qui sont proposés lors des repas, ne doivent pas rester isolés. Des partenaires nationaux peuvent être trouvés. Telle est l’ambition de Claude Delaunay, président de l’association : pouvoir récolter encore plus d’argent, afin de satisfaire encore plus de demandes de financement. Gageons que ce dossier permettra à Carisport de sortir de l’anonymat dans lequel elle a été cantonnée des années durant. Sa notoriété est grande au point qu’elle est devenue une institution tout en restant grandement limitée au pays des Mauges Sous les feux des projecteurs, l’association pourrait bien être assez rapidement submergée par les demandes. C’est là un risque calculé et accepté par Carisport qui cherchera  à y faire face.

 

Mobilité réduite et randonnées
Au début des années 80, Joël Claudel met au point un véhicule permettant le transport de personnes à mobilité réduite : la « joëlette ». Sorte de chaise au porteur montée sur une roue et encadrée de deux barres de support à l’avant  et de deux autres à l’arrière. Il conçoit cet appareil pour permettre à son neveu atteint d’une myopathie de profiter lui aussi des excursions en montagne. Très vite, il s’aperçoit de l’intérêt de cet outil pour d’autres familles. Il fonde alors en 1988 « Handi Cap Evasion ». Aujourd’hui, l’association compte près de 500 adhérents et 11 délégations locales. Elle propose 22 séjours par an à la montagne. Un expérience a même été tentée avec succès au Pérou en 1997. Chaque séjour s’organise autour d’une vingtaine de personnes comptant 3 valides pour une personne handicapée, ainsi qu’un cuistot, un guide de moyenne montagne et … deux ânes portefaix.   Le coût pour une randonnée de  8 jours atteint les 3.000F, les accompagnateurs valides étant sollicités à hauteur de 50F par jour.
Handi Cap Evasion fait partie des 11 structures qui ont sollicité en 1999 Carisport. Elle a obtenu pour 15.000 F de matériel de camping : toile de tente, cantine, bancs et tables démontables, lampes à gaz. Expériences inoubliables que ces expéditions tout terrain qui laissent un souvenir plein d’émotion et de frissons tant aux valides qu’à ceux qui ne le sont pas.                     
Contact : Simone Vincent chemin de la Creuzette 69270 Fontaine/Saône Tél. : 04 78 22 71 02

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°499 ■ 16/09/1999