Citoyenneté IME Val de Sèvre - Vertou (44)
L’accès à la citoyenneté par la parole
A l’IME du val de Sèvre, à Vertou (au sud de Nantes), on n’a pas attendu le dixième anniversaire de la Convention Internationale, commémorée le 20 novembre 1999, pour s’intéresser aux droits de l’enfant. Dès l’année 1990, un groupe de professionnels s’est attaché à sensibiliser l’institution à cette question. Information, utilisation du support tant théâtral, vidéo que pictural … chaque mois de novembre est l’occasion de remettre l’ouvrage sur le métier. Deux années de suite, l’établissement obtiendra le premier prix du concours international proposé par l’UNESCO sur le thème des droits de l’enfant. Aussi, lorsqu’intervient le décret du 31 décembre 1991 relatif aux conseils d’établissement (voir encadré), loin d’appréhender avec méfiance et doute ce nouveau dispositif, cette innovation apparaît alors comme l’occasion d’aller encore plus loin dans l’application des principes si souvent évoqués.
Faire du Conseil d’Etablissement un outil d’accès à la citoyenneté
La loi précise que deux fois par an, doit être réuni un conseil regroupant les présentants des usagers de l’établissement, de leur famille, des personnels, ainsi que l’organisme gestionnaire. Doivent y être traitées toutes questions intéressant le fonctionnement quotidien : règlement intérieur, organisation de la vie quotidienne, activités, projets, nature et prix des services rendus, affectation des locaux etc … Nombre d’établissement n’ont pas cru bon d’appliquer ce décret pourtant obligatoire. D’autres en ont fait une formalité vide de sens. Le choix de l’IME du Val de Sèvre a été tout autre : prendre les moyens de faire vivre le Conseil d’Etablissement en l’utilisant pour donner à la parole de l’enfant toute sa place. L’institution est répartie en quatre groupe de 15 enfants chacun. Chaque unité s’est vue doter d’un groupe d’expression se réunissant chaque semaine. Il s’agit là d’un mode de régulation assez répandu dans les foyers rééducatifs, qui permet de faire le point sur la vie commune et sur les projets à court et à moyen terme du groupe. Mais, l’innovation, au val de Sèvre, se situe dans la volonté d’aller au-delà du groupe de régulation, en proposant un support à la parole de l’enfant. En début d’année scolaire, deux délégués sont élus dans chaque unité, qui se retrouvent avec les six autres représentants dans un Conseil d’enfants se réunissant chaque mois.
Du Conseil d’enfants au conseil d’établissement
Les huit enfants se retrouvent en présence de deux adultes et échangent autour d’un ordre du jour préalablement fixé. Il s’agit, tout d’abord, en début d’année de procéder à l’élection des deux représentants du collège enfants au Conseil d’établissement, mais aussi de préparer les points que ce collège souhaite y voir abordé. Ces demandes, une fois formulées, n’aboutissent pas systématiquement, le Conseil d’établissement n’étant qu’une instance consultative. On peut néanmoins constater qu’au val de Sèvre, depuis 1994, date de la mise en place des deux conseils, toute une série d’améliorations a pu intervenir. Ainsi, de ce terrain de football qui n’avait pas été prévu dans la conception initiale de l’établissement, qui sera construit à la demande des enfants et inauguré par l’association gestionnaire en 1997. De même, pour deux autres propositions concernant l’installation de paniers de basket ou l’aménagement d’un circuit vélo (les enfants participant à son élaboration et à la fabrication et la pose des panneaux de sécurité routière). D’autres demandes ont concerné le confort quotidien : souhait de voir remplacés les couvertures et les draps par des couettes, exhaussé pour deux premiers groupes en 1999, mis au budget 2.000 pour les deux autres. Ou encore, l’achat de ces containers permettant le transfert des repas de la cuisine centrale vers les salles à manger des quatre groupes éparpillés sur l’ensemble de l’établissement, sans que la nourriture ne se renverse (ce qui était fréquemment le cas auparavant).
Mais, ce Conseil d’enfant ne se limite pas à la seule préparation du Conseil d’établissement. Il a été, aussi, pendant deux ans, le support à l’élaboration des règles de vie de l’établissement. C’est un authentique jeu démocratique qui a été mené. La navette entre les échanges au sein des groupes d’expression de chaque unité éducative et la synthèse réalisée par le Conseil d’enfants a permis d’élaborer un règlement intérieur auquel ont participé les usagers (voir encadré).
Il est important de note que le Conseil d’établissement est aussi le lieu d’expression des familles. L’IME du Val de Sèvre propose ses locaux aux parents qui se réunissent entre eux en général deux fois par an, pour préparer eux aussi dans les meilleures conditions, les points qu’ils souhaitent mettre à l’ordre du jour du Conseil d’établissement.
L’usager n’est pas seulement une personne atteinte de déficience. Il est aussi un citoyen. C’est à ce titre que doivent être déconstruites les représentations quant à sa place et à son rôle au sein des institutions médico-sociales. Il en va de même concernant les familles qui peuvent dès lors investir une authentique place de partenaires. Ces mutations viennent inévitablement heurter les pratiques traditionnelles. Les délégués des enfants doivent-ils avoir un comportement exemplaire ? Peut-on leur retirer leur délégation en cas de transgression ou de comportement à problème ? Peut-on estimer que certains enfants sont trop jeunes pour bénéficier des pratiques démocratiques (les adultes désignant alors les délégués au lieu d’organiser leur élection) ? La parole de l’enfant nécessite non seulement le respect de la part de l’adulte mais aussi la facilitation de sa mise en œuvre. Car l’un des meilleurs moyens de prouver qu’elle n’est pas pertinente c’est bien de la négliger ou de ne pas lui accorder sa juste place.
Le Conseil d’établissement et la loi
Le décret du 31 décembre 1991 institue les Conseils d’établissement au sein de toutes les institutions médico-sociales mentionnées à l’article 3 de la loi du 30 juin 1975. Il en fixe les attributions, en précisant qu’ils peuvent faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l’établissement. C’est la personne privée ou publique gestionnaire qui définit le nombre de représentants (entre 9 et 17), ainsi que leur répartition entre 4 collèges (usagers, familles, personnels, organisme gestionnaire). Les délégués des usagers et des familles doivent constituer plus de la moitié de l’ensemble. Directeur et représentant de la commune d’implantation participent aux sessions avec voix consultative. Les représentants des deux premiers collèges sont élus à bulletin secret (seule exigence pour les usagers, un âge minimum de 12 ans). Ceux de l’organisme gestionnaire sont désignés par leur organe délibérant. Les représentants du personnel sont soit élus, soit désignés par les syndicats. Le mandat des membres qu’ils soient élus ou désignés a une durée de 3 ans renouvelable. Le Conseil d’établissement se réunit deux fois par an, mais ne peut délibérer que si la majorité de ses membres est présent. Il élit son président parmi ses membres (rien ne s’oppose à ce que celui-ci soit un enfant). Article 14 : « le Conseil d’établissement est mis en place dans un délai de 6 mois à compter de la publication du présent décret ». Première rappel, la parution du décret date du 31 décembre 1991 ! Second rappel, aucun moyen de coercition n’est prévu par la loi pour les établissements qui ne respectent cette obligation.
Un règlement conçu avec les usagers
A partir du désir exprimé par tous de mieux vivre ensemble, des échanges ont eu lieu sur la notion de respect. Ont été répertoriés ce qu’il y a comme « droit de faire » et d’interdits autant dans les relations entre enfants qu’entre enfants et adultes. Au départ, ces règles ont été surtout exprimées en termes négatifs. Puis, progressivement, en s’appuyant sur le Convention internationale des droits de l’enfant, le Conseil d’enfants a pu synthétiser d’une manière positive ce qui remontait des discussions qui s’étaient déroulées au sein des groupes.Cinq axes ont alors été retenus qui sont assez largement déclinés et détaillés. Nous n’en retiendrons ici que les grandes têtes de chapitre qui montrent le souci de mise en cohérence avec la Convention (CIDE) :
▪Respect par rapport à mon identité, mon nom, mes origines (article 7 & 8 CIDE)
« J’ai le droit d’être respecté, je dois respecter les autres adultes et enfants »
▪Respect de mes affaires, de ce qui m’appartient, de mon travail (article 16, 28 & 31 CIDE)
« J’ai le droit d’apprendre et de jouer et de m’épanouir, je dois respecter le travail et les affaires des autres »
▪Respect et protection de mon intimité, de mon corps, de mon rythme (article 16 & 19 CIDE)
« J’ai le droit d’être protégé de toute atteinte à ma vie privée, je respecte celle des autres »
▪Protection de ma personne, de ma sécurité, de ma santé (article 3, 19, 24 & 34 CIDE)
« J’ai le droit d’être protégé, de vivre en sécurité, ma santé dépend des consignes que je dois respecter »
▪Droit d’expression (article 12, 13, 14 & 15 CIDE)
« J’ai le droit d’exprimer librement mon opinion sur toutes les questions qui me concernent ou qui m’intéressent (personnelles, familiales, de mon quartier, de l’IME) »
▪Droit à la justice (article 40 CIDE)
« Personne ne peut se faire justice lui-même »
Ont été définies des petites, moyennes et grosses bêtises auxquelles correspondent des sanctions allant de la simple remontrance jusqu’au renvoi de 3 jours ou plus en passant par des privations (de TV, de sorties, de consoles de jeux) et des réparations.
Le conseil d’enfants en séance
En ce 18 novembre, les huit délégués se retrouvent pour le seconde fois, depuis la rentrée scolaire. Quelques têtes ont changé, s’étonnent certains enfants. L’assistante sociale -c’est elle qui anime le Conseil ce mois-ci- réexplique qu’en cas d’empêchement du représentant titulaire, c’est au suppléant de prendre sa place. Cette fois-ci, un enfant est malade et un autre a du faire une démarche à l’extérieur, d’où les deux personnes nouvelles. A l’ordre du jour de cette séance, la préparation du Conseil d’établissement programmé le 6 décembre, la présentation du dépliant exposant les règles de vie élaborées au cours des deux années précédentes et enfin un échange avec le journaliste de Lien Social exceptionnellement admis à participer à ce Conseil d’enfants.
Chaque délégué va tout d’abord lire les propositions faites par son groupe en vue d’une inscription à l’ordre du jour du Conseil d’établissement. Un cahier est utilisé à cet effet qui sert de liaison et de support écrit à ce qui est dit. C’est d’abord Benoît et Thomas, âgés de 11ans, délégués du groupe de la Pirogue, qui se font aider par l’adulte pour lire les remarques inscrites sur leur cahier. Ils demandent à changer les plats qui servent à transporter la soupe et à prévoir les mêmes types de glace pour éviter les disputes. Aurélien, 13 ans, du groupe Drakkar rapporte quant à lui, le souhait de beaucoup de ses copains d’avoir plutôt du steak haché que du steak … à cause des appareils dentaires. Mathieu, 13 ans, qui a été élu représentant des enfants au Conseil d’établissement explique qu’il faudrait des bancs dans la cour de récréation. Il rappelle ensuite une demande faite l’an passé : le remplacement des couvertures et des draps par des couettes. L’adulte qui gère la séance explique que deux unités de vie en ont été dotées en 1999. Les deux autres le seront en 2000. Benoît, du groupe de la Pirogue, intervient alors pour expliquer que sur son unité, certains enfants trouvent que les housses de couette, « c’est dur à mettre ». Le débat s’ouvre … peut-être que les éducateurs pourraient aider ceux qui ont le plus de mal. Johny, au nom de la Goëlette propose l’installation d’un grillage derrière le terrain de football, pour éviter d’aller chercher le ballon dans le champ d’à côté. L’adulte présent a consciencieusement noté toutes les demandes qui seront mises à l’ordre du jour du Conseil d’établissement.
Second sujet traité, la maquette proposée par l’imprimeur concernant la plaquette exposant le règlement intérieur. Forme, couleur sont débattus. Un vote a lieu qui tranche entre les différentes versions possibles. Johny suggérera que ce soit les délégués des enfants qui soient chargés de distribuer le document final à leurs copains et leurs copines.
Le Conseil d’enfant touche à sa fin. Un temps est néanmoins aménagé pour un échange avec le journaliste présent. Plusieurs enfants lui posent des questions : pourquoi est-il venu les voir ? Que va-t-il faire après avoir assisté à cette rencontre ? Puis, à leur tour, ils acceptent de répondre aux questions posées. Y a-t-il certaines de leurs demandes qui n’ont pas abouti dans les années passées ? Ca a été le cas pour le terrain de Rollers ou le circuit de VTT, pour des problèmes de place ou de financement. Comment se déroulent les élections ? Dans chaque unité de vie, sur 15 enfants il y a 6 ou 7 candidats qui, chacun présente la raison pour laquelle il veut être élu. Le scrutin se déroule de façon secrète, soit à partir de bulletins portant les photos des candidats, soit par l’intermédiaire d’un adulte à qui l’enfant vient communiquer dans l’oreille le nom du représentant choisi. Quelles sont les motivations pour devenir délégué ? De nombreuses réponses font référence à un altruisme étonnant : « aider les autres », « respecter les autres », « bon moment à vivre ensemble, tout le monde s’écoute », « écouter les versions des autres, ça se peut qu’on n’ait pas les mêmes idées », « c’est cool, les deux délégués s’entraident ».
Les enfants de l’IME du Val de Sèvre, sont orientés traditionnellement vers les IMPRO de la région à partir de 14 ans. L’une des premières questions que certains d’entre eux posent quand ils visitent leur futur établissement concerne l’existence d’un conseil d’enfant et d’un Conseil d’établissement et les modalités d’évolution des conditions de vie.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°512 ■ 16/12/1999