SPE et les avocats 1 - St Nazaire (44)
L’éducateur et l’avocat : Rencontre entre les éducateurs de la SPE et les avocats du barreau de St Nazaire
Il arrive parfois qu’une collaboration semble difficile. Et puis il suffit d’essayer de se comprendre, pour rendre la démarche bien plus facile. Faire un pas l’un vers l’autre semble si simple... pourquoi ne pas le tenter. Ils se sont engagés et en sont fort satisfaits.
Que se passe-t-il quand un éducateur rencontre un avocat ? Si l’homme de loi défend un parent abuseur ou la famille d’un enfant placé, une méfiance s’installe de part et d’autre. Le premier prétend s’attacher à la cause de l’enfant, le second à celle de son client quel qu’il soit. L’un est là pour promouvoir le fond, l’autre sera plutôt garant de la forme. Ils ne sont pas faits pour vraiment collaborer, ce qui explique la distance qui les sépare. Ce fossé a commencé à être comblé à l’occasion d’une rencontre qui s’est déroulée à Saint-Nazaire dans les locaux de la Société de Protection de l’Enfance (1) et qui a réuni les acteurs du monde éducatif et ceux du monde des prétoires. Huit avocats (2) avaient fait la démarche de venir dialoguer avec des professionnels du placement familial, de l’internat, du milieu ouvert, de la médiation familiale, des enquêtes sociales et du point-rencontre parents/enfants, services que regroupe l’institution qui accueillait ce jour-là les participants à cette entrevue peu coutumière.
Les avocats ont été bien sages, plus intrigués par la découverte de ce nouveau milieu que décidés à se confronter avec certaines des pratiques du secteur socio-éducatif qu’ils dénoncent volontiers comme ne faisant pas toujours bon ménage avec le droit. Pourtant, plusieurs questions leur tenant à coeur ont fusé, produit de rancunes accumulées mais jamais évacuées.
Comment les éducateurs considèrent-ils les avocat(e)s ? A cette question, l’une d’entre elles émettra quelques doutes quant à la bienveillance sinon supposée, au moins espérée : « On a l’impression, renchérira-t-elle que notre rôle n’est pas vraiment expliqué aux jeunes par leurs éducateurs, que ceux-ci ne font pas toujours l’effort de prendre contact avec nous, même quand on se trouve au pénal : cela m’est même arrivé de refuser de plaider, quand un mineur avait refusé d’être défendu : cela me semblait une parodie de justice. »
Il faut préciser que si la place de l’avocat est obligatoire dans la procédure pénale, elle est tout à fait facultative au civil. Résultat, si un adolescent se voit systématiquement proposer un conseil quand il doit être jugé pour un acte de délinquance qu’il a commis, c’est bien plus rarement fait lorsqu’il se présente dans le bureau du juge dans le cadre d’un placement ou d’une autre mesure éducative. Il est vrai que pendant longtemps, les avocats ont boudé ces audiences, reconnaîtra l’un d’entre eux, tout simplement parce que l’aide juridique (avant qu’elle ne soit réformée et ne devienne l’aide juridictionnelle) ne les indemnisait qu’à l’issue de la procédure. Cela pouvait ainsi attendre des années, l’échéance de la mesure pouvant intervenir à la majorité de l’enfant concerné.
Autre aspect qui pose problème, celui du droit à être entendu dans des conditions d’égalité. Un avocat présent affirmera être très découragé de plaider dans les procédures de protection de l’enfant, tant il a l’impression que tout est joué d’avance entre le magistrat et les services socio-éducatifs. La relation privilégiée qui semble s’être établie entre le juge des enfants et les éducateurs qui suivent les mineur lui apparaît comme contraire à la plus élémentaire justice qui implique que chaque justiciable soit jugé dans un esprit d’équité et pour cela ait les mêmes informations que la partie adverse. Il n’en va pas ainsi pour la famille de l’enfant à qui il est refusé tout accès au dossier. Drôle de respect du principe du contradictoire, affirmera un autre avocat, où l’une des parties a possibilité de se présenter sans avocat, mais n’a pas le droit pour autant de consulter les pièces qui vont servir à prendre une décision pour ses enfants. En la matière, les éducateurs présents ne pourront que souhaiter l’évolution des procédures, se disant toutefois étrangers à un domaine du ressort soit du législateur, soit des magistrats. Un point d’achoppement qui les touche, par contre, tout particulièrement, et sur lequel a insisté fortement un avocat, pour l’avoir vécu avec un de ses clients : celui concernant le respect pas toujours très strict de la part des services socio-éducatif quant aux droits de visite accordés aux familles naturelles. Les responsables éducatifs présents se défendront d’une telle dérive, rappelant que la décision du juge des enfants constitue le fondement du mandat à partir duquel ils travaillent. Sans pour autant convaincre leur interlocuteur, sceptique quant à l’idée que tous les services éducatifs agissent avec autant de vertu !
Parmi les questions posées aux professionnels de la protection de l’enfance il y en a deux qui taraudaient certains des avocats présents. Et c’est tout d’abord, la durée des placements qui a été interrogée. L’assistance éducative se fixe pour objectif une suppléance transitoire des tâches parentales, qui théoriquement a un terme. Un enfant accueilli hors de sa famille a-t-il des chances d’y retourner un jour ? Une réponse rassurante put lui être apportée : oui, chaque année, une proportion non négligeable des ces enfants réintègre son milieu d’origine. La deuxième interrogation portait sur l’urgence et la précipitation avec lesquelles des mesures de retrait interviennent, comme si personne n’avait rien vu venir à l’avance. Là aussi, les réflexions de candide sont venues rejoindre les préoccupations des professionnels de terrain qui ont pu exprimer leur malaise à gérer bien trop hâtivement des situations qui mériteraient une plus longue préparation, permettant ainsi de faire l’économie d’actes brutaux qui pour nécessaires qu’ils soient n’en sont pas moins parfois très traumatisants.
Le dialogue a pris un tour bien plus passionné dès lors que nos avocats se sont retrouvés face aux praticiens de l’enquête sociale, de la médiation familiale et du point rencontre parents/enfants. Il est vrai qu’ils se retrouvaient là, face à des professionnels dont leurs clients leur parlent souvent, tant sont vifs les mécontentements et les frustrations accumulés à l’occasion de la fréquentation de ces services. Ce sont en effet ces personnels qui sont chargés d’effectuer les enquêtes qui vont peser notablement dans les décisions de divorce et qui vont assurer les visites entre le parent non gardien et son (ou ses) enfant(s) avec à la clé des rapports de comportement. Qu’il est difficile dans ces approches de garder une stricte neutralité et d’éviter de faire alliance avec l’un ou l’autre des deux parents, ce dont chacun d’entre eux se plaint souvent, considérant que le travailleur social a choisi le mauvais camp. Les interlocuteurs du barreau n’éviteront pas le piège de l’ambivalence demandant à la fois quelles garanties sont prises pour favoriser l’impartialité et dans le même temps, suggérant des visites surprises chez certains parents pour éviter toute mise en scène de leur part pour camoufler leur façon habituelle de vie. Mais, ce sera la rencontre avec la médiation familiale qui leur permettra de se convaincre le plus de la complémentarité des intervenants sociaux. Ayant cru au départ que ce mode d’arbitrage débordait sur leur plate-bande, ils ont compris progressivement les modalités de cette action : amener les parties à se détacher de ce qui fait nœud pour trouver ensemble des solutions qu’elles n’avaient pas envisagées auparavant. Rencontre fructueuse, meilleure compréhension réciproque, les participants ont promis de se revoir comme pour continuer à se découvrir mutuellement.
(1) Société de Protection de l’Enfance: 7 rue du Port 44600 St-Nazaire Tél: 02 40 22 06 03
(2) Ordre des avocats : 39, rue des Halles 44600 Saint-Nazaire tél. : 02 40 66 73 82
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°549 ■ 26/10/2000