Handi Cap
Fixer la route vers le Handi Cap
La navigation de croisière revient déjà cher quand on est valide. Mais, quand on souffre de handicap, ce n’est même pas la peine d’y penser. Et pourtant le rêve est devenu réalité ...pour une poignée de privilégiés aujourd’hui ...qui seront bien plus nombreux, demain ?
Il est 9h 15 en ce samedi 14 septembre, quand une trentaine de personnes se retrouvent au PC course du port de plaisance de Pornichet, à l’embouchure de la Loire. Alain Bertheloot, le directeur de course expose devant une grande carte maritime accrochée au mur le déroulement de la croisière. Scène commune à toutes les régates. Pourtant, le discours qu’il tient n’est pas habituel : « si le parcours que vous allez réaliser peut vous sembler modeste, il va être ambitieux pour les personnes qui vont monter sur votre bateau ; elles sont fragiles et vous devrez les ménager ». Dans l’heure qui suit, neuf skippers et leurs équipiers vont accueillir à leur bord un échantillon à peu près représentatif des différentes manifestations du handicap. Un jeune atteint d’autisme, un autre souffrant de déficience auditive, des adultes en fauteuil roulant (paraplégie, infirmité motrice cérébrale), d’autres marqués par le handicap mental, d’autres encore mal (ou non) voyants ou bien souffrant de mucoviscidose. Toute la journée, par un vent force 5 et sous un soleil radieux, de superbes bateaux vont longer la côte, barrés parfois pour quelques instants par des personnes qui n’imaginaient pas, peu de temps auparavant, pouvoir vivre une telle expérience. En fin d’après-midi, la séparation sera pleine d’émotion : le plaisir partagé, les sensations de la houle et du vent, la rencontre entre deux mondes qui s’ignorent si souvent, tout était réuni pour donner à chacun(e) envie de recommencer. Dès le lendemain l’opération continua remportant le même succès.L’entreprise et le handicap
Cette action originale a été menée à l’initiative d’une association que nous avons croisée plusieurs fois dans les colonnes de Lien Social (1) et qui innove une fois de plus en utilisant le fantastique support éducatif que constituent la mer et la navigation. Sillage est connu pour avoir monté un lieu de vie sur un bateau, puis de s’être transformé en Centre d’éducation renforcée. Mais, avant de se tourner vers la prise en charge des mineurs en difficulté, puis des jeunes délinquants, cette association avait commencé par naviguer avec toutes sortes de populations : détenus du centre pénitentiaire de Nantes, patients de l’hôpital de rééducation fonctionnelle voisin de Pen Bron, toxicomanes, sdf de la région parisienne, jeunes pensionnaires d’IME ou de MECS etc ... Proposer un week-end de croisière à des personnes souffrant d’un handicap, c’était donc opérer un retour aux sources. La préparation fut minutieuse. Chaque handicap se comporte de façon particulière sur un bateau, explique le Docteur Moutet : la tétraplégie pose le problème de la thermo-régulation (en mer, on se refroidit très vite), le traumatisme crânien implique des difficultés d’équilibre (renforcées par la gîte du bateau), l’infirmité motrice cérébrale nécessite une assise du corps qui soit sécurisante et confortable (l’embarcation en virant de bord peut contrarier ce calage) etc ... Et puis, il y a les comportements d’un organisme déjà suffisamment éprouvé dont on ne sait pas à l’avance la réaction face aux éléments souvent imprévisibles. Ces facteurs incontournables ont amené à prévoir l’assistance d’un ergothérapeute et d’un médecin urgentiste, présents sur trois vedettes rapides qui ont circulé au cœur de la flottille, tout le temps de la sortie. Ce dispositif tourné entièrement vers la sécurité des personnes embarquées représente un surcoût. Il est moralement inacceptable et matériellement impossible de demander aux personnes ayant subi un accident de la vie de supporter ce supplément financier. La solution à ce problème est venue de Bénédicte Blouin, membre du Conseil d’administration de Sillage : pourquoi ne pas demander aux entreprises de parrainer une ou plusieurs personnes handicapées ? A raison d’une prise en charge des deux tiers du coût de la journée de croisière, l’offre de sortie en mer devenait alors tout à fait abordable : 40 euros. La préparation prit de nombreux mois : mailing aux entreprises, relances, contacts par téléphone etc... Près d’une vingtaine d’entre elles répondirent positivement rendant ainsi possible l’organisation de ce premier week-end de sortie.Ils sont venus, ils sont tous là
Les dernières inscriptions, les désistements de bateaux, les confirmations, jusqu’au dernier moment, il aura fallu gérer l’imprévu. Mais, ça y est : tout le monde est prêt à monter sur le pont ! Monsieur Malicot qui est venu avec son Jeen Fiz de 12 mètres : il doit embarquer un enfant atteint d’IMC et son papa. Non, il n’appréhende pas : son cockpit est suffisamment grand pour caler un fauteuil. Ce qui lui fait le plus peur, c’est la météo : mais il sera là aussi pour rassurer. Philippe Hugo est, quant à lui, directeur régional d’un groupe d’assurance qui a sponsorisé l’opération. Il a tout de suite été enthousiasmé par le projet qu’on lui a présenté. Marin, lui-même, il a envisagé un moment se joindre à l’équipée avec son propre bateau. Il regrette de n’avoir pu le faire cette fois-ci, mais promet d’être là la prochaine fois. Comment explique-t-il son engagement en tant qu’entreprise ? Il est convaincu de la nécessité d’aller au-delà de la simple logique mercantile. Un peu plus loin, Charles, 14 ans, accompagné de sa famille. C’est sa grande sœur qui embarque avec lui. Il n’a pas hésité un instant quand on lui a proposé cette sortie. Il est prêt à revenir régulièrement, si c’était possible. Samuel lui est skipper. Il est venu avec trois équipiers : ce sont des habitués des régates. Le calendrier des compétitions est déjà établi pour les prochains mois : leur bateau y est souvent engagé. Il a décidé de participer à ce week-end, parce qu’il trouve cette initiative formidable. Patrick Proquin est Directeur de l’IEM voisin de Pen Bron. Il soutient ce projet et espère qu’il ne restera pas sans lendemain. André Durozo, propriétaire d’un First 47,7 de 15 mètres, est emballé : il trouve géniale l’idée d’impliquer les entreprises. Mais il est très attaché au bénévolat. Il ne voudrait pas que cette action se transforme en opération publicitaire avec des logos d’entreprises partout. Brice Favreau, jeune adulte de 19 ans, est venu là avec le service « vie associative loisirs » de l’APF qui propose régulièrement à ses adhérents des sorties au cinéma ou en discothèque, ainsi que diverses activités sportives adaptées. L’animateur qui organise ces activités est entouré d’accompagnateurs bénévoles. Brice appréhende-t-il ? Pas du tout : il n’a jamais fait de navigation, juste du char à voile. « C’est bon, ça va être cool » rajoute-t-il, un sourire au coin des lèvres. Sur le ponton d’embarquement où les bateaux se succèdent, cinq ou six personnes étant nécessaires pour monter les fauteuils à bord, Françoise Maussion regarde la manœuvre. Elle est gérante d’une entreprise du bâtiment. Elle aussi a financé ce week-end. Elle le reconnaît : ce n’est pas la fonction d’un industriel que d’être là. Mais, sensible à la question du handicap, elle a du imposer son choix à ses collaborateurs. Elle va d’ailleurs jusqu’au bout de ses convictions, puisqu’elle a engagé des démarches pour recruter un salarié porteur de handicap. Toutes et tous étaient présents là, avec comme seule ambition, de se retrouver autour de la passion de la mer et de la main tendue entre les valides et ceux qui ne le sont pas.Vers des lendemains qui chantent ?
Ce week-end aura apporté beaucoup de bonheur à chacun de ses participants. A son issue, la question qui était sur beaucoup de lèvres était bien de savoir si cette initiative aurait une suite. Cette opération a été conçue comme une première tentative. Sillage avait besoin de vérifier la faisabilité de son projet et surtout l’engagement des entreprises et la participation du public porteur de handicap. Finalement les uns et les autres étaient au rendez-vous. Au tout début, c’était un pari. A l’issue de ce week-end, les perspectives commencent à s’éclaircir. Ce n’est pas, loin de là, la première fois qu’une activité sportive adaptée est ainsi proposée. De nombreuses initiatives existent déjà qui fonctionnent parfois depuis des années. Mais elles sont loin de combler toutes les demandes. A la question, comment offrir la possibilité de pratiquer de la voile, Sillage n’a pas voulu répondre à la manière du sport de compétition (comme peut le proposer fort bien dans de nombreuses disciplines Handisport) ni comme le font les établissements qui possèdent un voilier (fréquenté alors par les seules personnes appartenant à l’établissement) qui sont autant de solutions complémentaires. Ce qui est ici innovant, c’est de proposer à qui le veut, une prestation et de la rendre financièrement abordable grâce à un parrainage d’entreprises. Le coup d’essai (qui fut un coup de maître !) du week-end des 14 et 15 septembre a été le résultat d’une synergie entre le bénévolat des skippers et des adhérents de l’association, un financement privé et la participation financière des personnes inscrites. L’étape suivante consiste bien à proposer, du mois d’avril au mois de septembre, des sorties sur une (ou plusieurs) journée(s), en utilisant les services d’un skipper et en affrétant un navire adapté aux différentes sortes de handicap tout en continuant à solliciter les financements privés. Pour autant, l’association n’entend pas se transformer en prestataire de loisirs. Convaincu du formidable potentiel éducatif contenu dans la navigation son président, Jacques Lambert le dit avec force : « Le bateau est un alibi, un prétexte, car la mer est surtout là pour révéler aux individus une part d’eux-mêmes qu’ils ne connaissent pas ».(1) voir Lien Social n°361, 444, 527
Contacts : Sillage, section « Handi Cap », 34 rue d’Anjou 44600 Saint Nazaire, tel. : 02 40 22 58 45, Fax : 02 40 22 58 44, email : association.sillage@wanadoo.fr
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°635 ■ 26/09/2002