Collège expérimental 1 - Le Mans (72)

« L’école où les enfants ne font pas ce qu’ils veulent, mais veulent ce qu’ils font » (1)

Créer et animer un collège différent n’est pas une opération facile. Faire face à l’inertie de l’administration et à l’opposition syndicale relève parfois du 13ème des travaux d’Hercule ! Un groupe de parents et d’enseignants de la région du Mans a relevé le pari et est en passe de le gagner. Reportage.
 
Tout a commencé par le manifeste lancé en 1999, par Marie-Danielle Pierrelée : « pour une école créatrice d’humanité ». Un certain nombre d’enseignants se sont reconnus dans ses propos et ont commencé à réfléchir un peu partout en France à la possibilité de créer des collèges expérimentaux qui fonctionneraient selon les modalités des pédagogies dites actives déjà utilisées depuis longtemps dans le primaire (pédagogie Freinet, Montessori, Institutionnelle...). Jack Lang, favorable à cette idée, a facilité l’émergence de plusieurs tentatives un peu partout, en les imposant même là où les réticences étaient trop fortes. Marie-Danielle Pierrelée, qui était jusqu’alors principale du collège de Mulsanne (situé à la périphérie du Mans) avait réussi à monter une classe où était appliqué un certain nombre de ses conceptions. En tout bien tout honneur, l’administration lui proposa la direction d’une expérience pilote. Une année fut nécessaire pour qu’un groupe de professeurs et de parents d’élèves construisent le projet. Un temps, les locaux du Comité d’Entreprise du groupe Renault furent pressentis. Finalement, le choix se porte sur le collège du Ronceray, situé au Mans, seul établissement du département bénéficiant d’un statut de ZEP. Cette annonce provoqua un mouvement de forte résistance de la part de l’équipe pédagogique en place qui refusait de se voir congédiée pour faire place à un groupe de professeurs qui pouvaient apparaître comme venant réussir là où eux-mêmes avaient échoué. Les syndicats s’opposèrent, eux aussi, au principe de nomination des professeurs par cooptation (et non par mouvement national comme il est de coutume dans la fonction publique d’Etat). L’implantation du collège expérimental se fit donc dans le bruit et la fureur. Finalement, il fut décidé qu’il serait bien implanté au Ronceray, mais qu’il partagerait les lieux avec le collège déjà existant. Le 18 mai 2002, le nouvel établissement sera d’ailleurs baptisé du nom d’Anne Franck. Pour l’heure, nous sommes fin août 2001, des bâtiments annexes sont installés à la hâte dans la cour pour accueillir la nouvelle administration et la rentrée peut se faire début septembre, comme prévu. Le projet initial n’avait pas revendiqué la désectorisation. Au contraire, le collège expérimental était sensé s’adresser à tout type d’élèves. L’idée de départ n’était pas de constituer un refuge pour celles et ceux qui sont en échec scolaire. De fait sur l’effectif de 108 élèves, âgés de 10 à 17 ans, présents début septembre 2001, 10% des enfants étaient issus de familles militantes attirées par les méthodes proposées, mais qui n’étaient pas au départ particulièrement en difficulté, 40% des élèves rencontraient un certain nombre de problèmes et 50% d’entre eux pouvaient être considérés comme en échec scolaire grave, leur entrée au collège expérimental constituant une solution de dernier recours. Sur l’ensemble, 4 enfants avaient un an d’avance, 44 étaient dans la norme, 46 un an de retard, 13 deux ans et 1 trois ans. Le collège comportait 80% de garçons, cette particularité sociologique s’expliquant sans doute par le fait que les garçons sont plus bruyants quand ils sont en échec que les filles et posent plus de problèmes aux établissements. L’équipe pédagogique était constituée de dix professeurs et de deux aides-éducateurs auxquels se rajoutaient une documentaliste, une conseillère principale d’éducation, une gestionnaire et la principale.
 
 

La pédagogie du collège expérimental

La pédagogie utilisée par le nouvel établissement, est en rupture avec ce qui se pratique dans le reste de l’Education Nationale. Dans la plupart des collèges, il vaut mieux être dans le moule et répondre aux exigences (ni trop en avance, ni trop en retard), sous peine d’être inévitablement dépassé, écrasé et rejeté. Cela ne tient pas forcément  aux enseignants, dont un certain nombre a une vraie volonté de s’adapter, mais plus à tout un système qui fonctionne dans l’uniformité. La noble idée d’égalité s’est trouvée dévoyée en ce qu’elle aboutit à offrir à tous et à chacun les mêmes modalités sans tenir compte aucunement du niveau où l’individu se trouve.
Au collège expérimental, l’apprentissage est organisé à partir du rythme de chacun. L’apprentissage est adapté à chaque élève. L’individu est respecté dans son originalité et sa personnalité.
Plusieurs outils pédagogiques sont appliqués. Mais, le moment pivot est celui du tutorat qui a lieu tous les matins de 8 heure à 9 heure et le lundi de 16 à 17 heure. Un groupe de dix élèves (hétérogène en âge et en niveau scolaire) est pris en charge par le même adulte qui devient son référent tout au long de l’année. Ce qui est proposé à chaque enfant, c’est un suivi individualisé : accompagnement dans les leçons et les devoirs, gestion des problèmes personnels, point régulier sur l’évolution de l’apprentissage, évaluation informatisée de sa progression. L’élève est considéré à ce moment-là comme un individu qui trouve un interlocuteur avec qui il peut faire le point et engager un dialogue de qualité.
Viennent ensuite les groupes d’apprentissage qui ont remplacé le découpage traditionnel en sixième, cinquième, quatrième et troisième. Quatre domaines sont proposés dont chacun porte une couleur (rouge, vert, jaune bleu) et sont répartis tout au long de la semaine sur des plages horaires distinctes. A l’intérieur de chacun de ces domaines, cinq séquences sont présentées recoupant les disciplines classiques (langue, mathématique, histoire géographie, sport, arts plastiques, français). Chaque élève opte dans chacun des quatre domaines pour une séquence (en fait, il propose un premier choix et un second choix qui sont satisfaits en fonction du nombre d’inscriptions dans chaque groupe). La nature des séquences change toutes les cinq à six semaines. L’enfant se trouve donc dans une position d’acteur : il doit choisir son propre parcours d’apprentissage. Pour la période rouge lui sont, par exemple, proposés : « lire, résumer, créer un fichier sur ordinateur », « électricité : tension, intensité, mesures, lois », « gymnastique aux agrès », « préparation à l’épreuve du brevet » et « anglais débutants ». Pour la période verte ce sont : « organisation d’une fabrication », « monographie d’artistes (Léonard de Vinci, Van Gogh ...) », « écriture à contraintes classique (lettre, compte-rendu, devoirs d’histoire ...) », « anglais et math autour de Lewis Caroll » et « conte, oralité, choix de textes, mémorisation ». Et, ainsi de suite. Si l’élève est sollicité pour construire son propre programme, son tuteur vérifie que, tout au long de l’année, ses choix se répartissent bien dans toutes les matières. Un enfant, par exemple, qui n’opterait que pour les activités sportives, serait invité à modifier ses inscriptions. Il s’agit de répondre aux contraintes du programme scolaire national, que le collège expérimental doit suivre, comme tout autre collège.
Un autre groupe d’activités, sortant lui plus librement du cadre des programmes officiels, est proposé à raison de trois heures distinctes par semaine : ce sont les « cours au choix » qui sont assurés par les enseignants, mais aussi par des personnes compétentes extérieures (y compris des parents d’élèves) et même des élèves eux-mêmes qui auraient des compétences particulières à faire partager. Sont proposés des thèmes aussi divers que « apprendre par cœur : poèmes chansons, vocabulaire d’anglais », « améliorer sa compétence en soudure », « trampoline » « quelques chansons de Souchon », « sécurité routière : calcul des distances de sécurité », « ménage ton dos (assuré par l’infirmière) », « danse traditionnelle » « lecture d’une nouvelle en anglais », « cours de solfège », « calligraphie », « puzzle en mathématique », etc, etc, etc...
Les groupes d’apprentissage et les cours au choix sont proposés parfois pour des niveaux précis (c’est le cas par exemple de la préparation du brevet, plutôt réservée aux 3ème ou l’anglais débutants aux 6ème ). Pour les autres groupes, chaque élève peut se rendre là où son propre niveau lui permet d’accéder.
Ce brassage des petits et des grands, s’il est possible dans les deux premières instances devient systématique dans les groupes de projet qui sont proposés deux demi-journées par semaine. Participation à une action humanitaire, création d’un site internet, production d’un journal, organisation de voyages ou d’une fête... les enfants sont invités à contribuer à la conception, l’élaboration et la réalisation, de bout en bout, d’une action qui nécessite une projection dans le temps, une organisation et une répartition des tâches, des démarches à accomplir, des responsabilités à prendre et à assumer etc ... toutes choses qui transforment l’élève traditionnel plutôt consommateur passif en acteur autonome engagé dans un processus.
 
 

L’évaluation et la régulation

Le collège expérimental ne propose pas de notes, mais applique les méthodes de la pédagogie institutionnelle sous la forme de « brevets ».  Au départ, les acquis de l’élève sont répertoriés. Un objectif d’apprentissage nouveau est fixé avec le tuteur. Si le but est atteint, il est alors reconnu par l’obtention d’un brevet et l’on passe à un autre objectif. Chaque élève est ainsi évalué à partir de son propre rythme et non en fonction d’une exigence qui dépasse ou qui minimise ses vraies capacités, comme cela se passe trop souvent dans le collège traditionnel.
L’accueil d’enfants massivement rebelles à l’autorité, vivant dans la toute puissance, la réponse immédiate à la pulsion et l’incapacité à différer a rendu nécessaire une attention particulière aux transgressions. Dès le mois de septembre, s’est mis en place un « conseil de râlage » qui réunissait chaque semaine deux adultes et un élève par groupe de tutelle. Y étaient exposés les conflits, agressions, insultes dont avaient à se plaindre adulte ou enfant du collège, sanctions et réparations étant alors éventuellement décidées. Mais, très vite, l’instance a été débordée par le nombre de situations à démêler, et noyée dans la masse des tâches à accomplir parallèlement. Aujourd’hui, les sanctions sont prises au coup par coup par la principale. Le conseil de collège constitué sur le même principe, planche actuellement sur l’élaboration d’un règlement intérieur qui est soumis à discussion dans les groupes de tutelle. Un autre dispositif avait été instauré qui a été modifié depuis : celui du sas. Quand un élève se trouve en grand état d’excitation et ne tient plus dans le cours, il  était exclu et envoyé vers la conseillère principale d’éduaction. Très vite, les locaux administratifs ont été envahis. Une salle a donc été prévue avec un adulte pour recevoir les élèves exclus : un travail écrit leur était alors demandé sur ce qui venait de se passer. Là aussi, le sas a très vite été débordé par son succès (il y a eu jusqu’à 20 élèves en même temps), certains jeunes faisant même le nécessaire pour se faire exclure  de cours et être ainsi pris en charge individuellement! Le dispositif a été modifié. La possibilité est laissée à un enfant qui ne supporterait plus de rester en cours de sortir et de décompresser (en faisant un peu de sport par exemple). Mais, il viendra alors rattraper ce qu’il a raté le samedi matin suivant. Nouvel effet pervers constaté : certains des élèves, ainsi sanctionnés, manifestent le plus grand intérêt à se retrouver ainsi, en petit groupe, au calme, avec un contact individualisé avec un adulte qui s’occupe d’eux. L’équipe réfléchit donc à des modalités qui permettraient d’offrir cette attention soutenue, sans que les enfants aient besoin pour l’obtenir de se faire virer de cours !
Autre moment de régulation : ceux que se donne le groupe des adultes. Tous les mardis, les cours terminent à 15h30. L’équipe se réunit alors pendant trois heures pour échanger sur les élèves, sur les difficultés rencontrées, sur l’organisation du collège. Une semaine sur deux, une psychologue vient passer la journée au collège : c’est Isabelle Filliozat, connue pour ses ouvrages sur la gestion des émotions. Elle assiste à certains cours et propose aux enseignants qui l’ont assuré, son regard critique, sous la forme d’un écrit. Elle peut aussi recevoir des élèves et est présente tout au long de la réunion hebdomadaire de régulation.
Mais les échanges ont lieu aussi tout au long de la journée et le soir après les cours : les profs ont pris l’habitude de rester sur place. Leur horaire de travail a été porté d’un commun accord de 18 à 24 heures se répartissant en 12 heures de cours, 5 heures de tutorat, 4 heures de projet et 3 heures de régulation.
 
 

Pour une école créatrice d’humanité

Après neuf mois de fonctionnement, le collège expérimental a réussi à franchir un certain nombre d’obstacles majeurs. Il y a d’abord eu l’hostilité ambiante. Partageant les locaux avec le collège classique, il a plutôt été perçu comme un envahisseur. Des bagarres ont éclaté dès la seconde semaine de la rentrée de septembre entre les élèves des deux établissements. Depuis, les relations se sont pacifiées. Il arrive même que certains élèves du classique viennent fréquenter l’expérimental ! Mais les équipes pédagogiques des deux collèges ne se fréquentent toujours pas. L’ambiance est plutôt donc à l’ignorance polie. La cantine étant inexistante sur place, c’est en car que chaque midi les élèves gagnent un collège voisin pour déjeuner. La centaine d’élèves admis s’est retrouvée sans se connaître au préalable. Situation unique : dans tous les autres collèges, il n’y a que les 6ème qui arrivent (et encore du fait de la sectorisation, ils ont vécu dans les mêmes CM2 ou les mêmes cours de récréation). Sur la centaine d’élèves admis en septembre, dont 90% se trouvaient en délicatesse avec la scolarité (pour ne pas dire bien plus pour beaucoup d’entre eux), seuls 10% restent en gros blocage d’apprentissage. Cette inversion de la proportion de départ constitue un résultat plutôt satisfaisant et justifierait la pérennisation de ce type d’expérience.  Pour l’heure, celle du collège Anne Frank semble assurée. Pour autant, on est loin de la l’idée lancée d’un collège expérimental dans chaque département : trois des dix huit projets élaborés ont pu ouvrir en 2001/2002. D’autres suivront sans doute avec pour espoir de diminuer le nombre d’adolescents qui « quittent le collège persuadés qu'ils ne sont bons à rien, avec, pour perspective, l'assistance à vie ou la délinquance pendant que beaucoup d'autres y laissent à l'abandon leur potentiel intellectuel, se vidant peu à peu de leur énergie et de leur confiance en eux-mêmes » (2) C’est du moins ce qu’on peut souhaiter de mieux pour bousculer une Education Nationale qui a bien besoin de faire évoluer ses pratiques.
 
(1)     Edouard Claparède
(2)     extrait du « Manifeste pour une école créatrice d’humanité » 
  

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°632 ■ 05/09/2002