Collège expérimental 2 - Le Mans (72)
Voyage au pays d’Anne Frank
Faire le point sur une expérimentation comporte un volet incontournable où il est pertinent d’aller se rendre compte sur place d’une ambiance et d’une atmosphère. C’est que nous sommes allés faire.
Ce jour-là, les cours au choix proposaient plusieurs possibilités. Intrigué par le thème de l’un d’entre eux, nous rentrons dans l’atelier « rétro-propulsion ». Vingt élèves y sont assis. Ils se répartissent entre la 6ème et la 3ème. L’enseignant déballe une dizaine de châssis en bois en forme de triangle dotés d’une roue à l’avant et de deux roues à l’arrière reliées par un axe. Le défi consiste à trouver la façon de disposer un élastique pour provoquer une propulsion. « Qu’est-ce que ça rapporte ?» lance un enfant, avant de se mettre au travail. Par groupe de deux ou de trois, les jeunes se mettent à chercher et à entortiller leurs élastiques. « M’sieur, on peut rajouter un moteur » demande un élève, qui n’a pas compris la consigne. Bientôt, tables et chaises sont rangées au fond de la salle et une piste est dégagée : un concours est engagé pour savoir quel châssis ira le plus loin. « On a le droit d’aller voir comment les autres ont fait » réplique le prof, pour encourager ceux qui peinent. En fin de séance, un échange a lieu (verbal, mais il aurait aussi bien pu être écrit) pour mutualiser ce que chacun a appris et compris. Les plus petits sont les plus intéressés. Les plus grands des garçons menacent les filles avec leurs élastiques. Classique ! Le plaisir de la découverte et de l’apprentissage a permis de faire avancer un certain nombre d’élèves, plus ou moins rétifs à la démarche scolaire, sur des notions de physique - ce qu’un cours magistral n’aurait sans doute pas réussi à faire. Mais, déjà, la sonnerie marque la fin de l’heure. Nouvelle incursion, cette fois-ci, sur un groupe de projet qui organise une course contre la faim en collaboration avec l’AICF. Une douzaine d’élèves font le point sur les tâches qu’ils devaient accomplir. Cela fait déjà plusieurs mois qu’ils se réunissent à raison de deux fois par semaine et sont presque arrivés au bout de leurs efforts. Les uns expliquent les difficultés à obtenir les autorisations parentales signées pour les élèves devant participer à la course. « Les profs ne font rien, eux ils les auraient obtenues plus vite » se plaint une élève. D’autres jeunes expliquent les démarches qu’ils ont accomplies par téléphone pour obtenir la participation de sponsors. Un élève est envoyé, à la recherche d’un ordinateur portable, qui permettrait, le jour venu, de traiter les résultats de la course, grâce au logiciel fourni par l’AICF. Quelqu’un frappe à la porte. C’est un élève du groupe projet « site internet » qui vient demander un texte pour le publier sur le site. L’enseignante aurait sans aucun doute plus vite fait de répartir les responsabilités et même d’accomplir elle-même la plupart des actes nécessaires. Mais, l’objectif est bien ici d’apprendre à s’organiser et à s’autonomiser. La démarche aboutit ? Tout le monde est valorisé. Elle se heurte à de grosses difficultés ? C’est là aussi la réalité du quotidien, et quand on sort du monde de l’enfance pour intégrer celui des adultes, il faut comprendre que tout n’aboutit pas forcément. Principe de réalité contre principe de plaisir...
La parole aux acteurs
Justement, qu’en pensent les élèves ? Audrey, 16 ans, est en 3ème. L’an passé, elle était très bonne élève. Mais, elle était rejetée par les autres qui lui reprochaient ses trop bonnes notes. Sa souffrance, elle n’a jamais pu s’en ouvrir à personne. Depuis septembre, elle a pu améliorer encore ses résultats. Et, surtout, elle se sent considérée et écoutée « ici, on peut faire évoluer les choses, chacun peut travailler à son rythme ». Laurine, elle, a 15 ans. Quand elle compare ce qu’elle vit aujourd’hui, son propos est cinglant : « ici, on est une personne qu’on respecte avant d’être une élève. Avant, on était comme une bête dans un poulailler ». Emilien, 12 ans, est en 5ème. Lui aussi fait la différence avec l’année passée : les conflits avec les autres élèves n’y étaient pas vraiment pris en compte. Allan, 12 ans, était en CLI, l’an passé. Au départ, dans ce collège expérimental, il a été perdu : l’emploi du temps changeait tout le temps. Heureusement, il y a l’heure de tutorat qui lui permet d’apprendre « chez moi avec mes frères, ce n’est pas possible d’être tranquille pour travailler ».
Du côté des profs, avec qui nous avons partagé le repas de midi, la discussion est intense : le débat fait rage, pourrait-on dire. L’isolement par rapport aux collègues des autres établissements, la dérogation qui permet de recruter les profs à partir du projet du collège (et qui fait craindre une menace condamnée par les syndicats : la possibilité pour les principaux et proviseurs de recruter directement leur personnel), les démarches pédagogiques à adopter face aux élèves, les écrits que remet la psychologue aux enseignants après avoir assisté à leur cours et qui sont « sans concession » etc ... l’impression qui domine, c’est un foisonnement d’échanges passionnés, mais toujours respectueux de l’avis des autres. A la question posée sur l’habitude de ce genre d’échanges traditionnellement, l’un des enseignants répondra : « cela fait mon douzième collège que je fréquente, c’est la première fois que je discute ainsi avec des collègues ».
Et du côté des parents ? Madame Larchevesque est une maman militante du projet. Son fils, Cyril, était plutôt un élève moyen. Mais, il n’avait aucun problème scolaire. Il aurait pu être inscrit en 6ème classique. Il a quand même subi des violences qui n’ont pas su être gérées par son école. Ce qui a mis très en colère sa famille. Ce qui l’a décidé à l’inscrire au collège expérimental, c’est la pédagogie proposée : valoriser les richesses des enfants et leur permettre d’apprendre dans le plaisir, constitue un défi enthousiasmant. Monsieur et Madame Larchevesque ont suivi, avec assiduité, les réunions de préparation pendant toute l’année qui a précédé l’ouverture du collège. C’est vrai qu’ils se considèrent comme des parents atypiques. Ils étaient prêts à un éventuel redoublement de leur fils. Le risque valait qu’ils l’envoient dans un établissement en phase avec leurs propres valeurs. Leur fils a beaucoup changé depuis la rentrée. Il a mûri et est devenu bien plus autonome. Les autres parents avec qui Madame Larchevesque est en contact (elle est déléguée FCPE) sont ravis. Et de citer cet enfant qu’il fallait sortir du lit qu’il refusait de quitter pour aller au collège en face de chez lui et qui, aujourd’hui, prend le train à 6h00 du matin le sourire aux lèvres. Ou encore cet élève qui a résumé ce que le collège expérimental lui avait apporté : « ici, on m’a laissé le temps de régler mes problèmes ». Et puis, les relations avec les profs sont au beau fixe. Les parents sont bien accueillis et peuvent dialoguer facilement à propos de leur enfant.
L’impression globale que donne cette visite au Ronceray ? Un sentiment de grande sérénité : chacun se sent bien, parce qu’il se sent respecté. Une confiance que les enfants semblent avoir retrouvé en eux : ils découvrent qu’ils peuvent apprendre avec plaisir, ce qu’ils n’avaient jamais pu trop faire, auparavant. Une grande proximité avec les adultes : ceux-ci sont là pour les aider, non pour les enfoncer. La communauté est restreinte : tout le monde se connaît. Les adultes s’adresse avec bienveillance aux enfants, en les appelant par leur prénom. Le tableau ne serait pas complet, s’il se terminait sur une note aussi idyllique. Les transgressions existent, les coups de colère aussi, la violence dans la cour, de même... Tous ces aspects sont gérés, comme dans beaucoup de collèges, avec toutefois cette pointe d’humanité et de bienveillance en plus, qui manque parfois dans bien d’autres établissements. L’enfant en difficulté est accepté ici, alors qu’il est si souvent rejeté ailleurs, comme un gêneur.
Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°632 ■ 05/09/2002