Sillage réinsertion sociale

La délinquance est-elle soluble dans la mer ?

Le milieu carcéral constitue un monde à part. Lieu d’enfermement, sa valeur éducative est des plus limitées et ses effets pervers bien trop fréquents. C’est pourquoi nombreux sont celles et ceux qui aspirent à lui trouver des alternatives. Que ce soient les Travaux d’Intérêt Général ou la Médiation Pénale, la réparation de la faute commise y trouve des supports dépassant le stade de la simple punition. Ce mouvement ne s’arrête pas aux portes des Maisons d’Arrêt. Au sein-même de l’Administration Pénitentiaire, des voix de plus en plus nombreuses se sont fait entendre ces dernières années pour favoriser la réinsertion des personnes incarcérées. Un certain nombre d’initiatives ont vu le jour illustrées notamment dans le livre de Jean-Louis Daumas, « La zonzon de Fleury » (Calman-Lévy). Bien d’autres expériences ont eu lieu. Ainsi, cette croisière, en 1994, à laquelle ont participé 14 détenus en provenance de 5 établissements différents.

 

La mer comme support pédagogique

L’objectif éducatif est clair: favoriser la resocialisation de personnes arrivant en fin de peine afin de les préparer au retour à la vie en société.

La mer est à cet égard un moyen fantastique. Elle apporte en premier lieu une véritable rupture avec tous les repères antérieurs et oblige chacun à une réorganisation à l’égard de soi-même et dans son rapport aux autres. Le déséquilibre des sens nécessite de se mettre en phase avec les mouvements du bateau et donc de s’adapter à un nouvel univers. Et puis, il y a cette obligation de s’adapter aux règles tant de navigation que de sécurité qu’on ne peut transgresser qu’en mettant en péril  sa propre sécurité et celles des autres. L’hostilité potentielle de cette masse d’eau inquiétante est un facteur de régulation tout à fait convaincant. Mais, il y a aussi la nécessaire solidarité d’un équipage, qui pour faire avancer le navire doit inévitablement se coordonner et agir dans le même sens au moment des manoeuvres. Il y a encore cette confiance qui doit s’établir entre les individus. Celui qui barre, prend en main la destinée du bateau et de ceux qui y ont pris place. Se retrouver à deux, au moment du quart de nuit quand tous les autres dorment avec pour tâche de conduire le bateau selon un cap donné n’est pas une mince affaire pour celui que la société a mis derrière les barreaux.

 

Sillage

Pour une telle expérience, l’Administration Pénitentiaire s’est adressée à une jeune association créée en 1993, « Sillage ». Cette structure se fixe comme projet la réinsertion  sociale des populations rencontrant des problèmes et notamment « offrir à des jeunes en difficulté la possibilité de faire une rupture avec leur cadre de vie et de leur faire toucher du doigt les contraintes et les réalités de la vie en société ». L’association met à disposition le bateau et le skipper. Tout public peut être concerné: toxicomanes, sdf, polyhandicapés,  mineurs accueillis  en Institutions spécialisées ou suivis par l’Aide Sociale à l’Enfance, la Protection Judiciaire de la Jeunesse ou le secteur privé habilité.

 

Quatorze détenus en croisière

Ce lundi 3 ocrtobre1994, c’est donc 14 détenus qui arrivent en fourgon cellulaire sur le port de Pornichet. Agés de 18 à 33 ans, ils ont purgé la moitié de leur peine (qui s’étale de 6 mois à 20 ans). Ils ont été choisis en fonction de leur motivation, de leur aptitude physique et de leur comportement en détention. Ils sont accompagnés de 3 gardiens et d’un éducateur et embarquent sur deux navires dirigés par deux skippers de Sillage. Ce séjour a été programmé dans le but de les amener à rompre avec leur passé délinquant et leur donner une chance de se réinsérer dans les meilleures conditions à leur sortie. Destination: un tour de Bretagne, ses îles et ses ports pendant une durée de 16 jours. L’expérience se déroule dans de très bonnes conditions. « D’avoir des responsabilités m’a ouvert les yeux sur la vie au quotidien » explique à son retour l’un des stagiaires ». « Il m’a permis de me situer dans un groupe et m’a obligé à de nombreuses concessions » confirme un autre. « Nombreuses remises en question d’ordre personnel » confie un troisième. Mais ... « après avoir passé 15 jours de rêve, le retour en détention a été un peu dur » avoue l’un d’entre eux. Les règles édictées au départ ont été respectées: une authentique osmose  s’est réalisée entre les stagiaires mais aussi entre les stagiaires   les encadrants, les skippers et deux journalistes embarqués avec leur caméra (leur reportage passera sur Arte quelques mois plus tard). Quel que soit le statut de chacun sur la terre ferme, tous avaient la même fonction à bord: celle de co-équipier. Aucun incident n’a été à déplorer. Les toxicomanes assez nombreux dans le groupe n‘ont pas tenté de se procurer de la drogue. Quant à ceux qui étaient sous calmants en détention, ils ont arrêté toute prise médicamenteuse pendant le séjour. Les horaires pendant les quartiers libres ont été respectés. Finalement, chacun a essayé de donner le meilleur de lui-même en acceptant l’autre avec tolérance. Deux mois après la fin du séjour, la moitié des participants ont trouvé un stage ou un emploi et le quart manifeste une réelle volonté de quitter la délinquance. Deux ans après, un seul a récidivé.

 

Épilogue

L’association Sillage a, depuis cette expédition, acquis son propre bateau. (Jusqu’alors elle les louait). Mille jeunes ont été embarqués en 1995 au cours de 140 jours de mer. En 1996, 160 journées sont déjà inscrites pour la saison printemps-été. Du 6 octobre de cette année au 3 avril 1997, 5 jeunes de 16 à 18 ans relevant d’un dossier pénal (ordonnance du 2 février 1945) ou d’un dossier civil d’assistance éducative (article 375 du code civil) se verront proposer un séjour à l’itinéraire suivant: Archipel de Madère, Iles Canaries, Iles du Cap Vert, Mauritanie, Sénégal, Guinée, Brésil, Atoll des Rocas, Guyane, Vénézuella, Antilles, Acores et retour en France. La Direction Régionale de Bretagne-Pays-de-Loire de la PJJ qui finance ce séjour en a proposé le renouvellement chaque année à la même période.

Pour faire face à la demande, Sillage envisage l’acquisition d’un second navire toujours dans le même but de réinsertion sociale. L’association vient d’obtenir les agréments DISS et PJJ en tant que « structure d’accueil non-traditionnelle » et une reconnaissance de Jeunesse et Sport en tant qu’« Association de Jeunesse et d’Education Permanente ».

 

Jacques Trémintin - Journal du Droit des Jeunes ■ n°156 ■ juin 1996

 

Contacts: Sillage, 42 rue du Ber, Saillé 44350 GUERANDE. Tél:40-42-83-99  Fax: 40-15-01-98