Les Opérations Prévention Eté
L’été sera-t-il chaud ?
Jusqu’à la fin des années 70, les seuls dispositifs existants à l’égard de la jeunesse en difficulté se résumaient à l’Aide Sociale à l’Enfance, à l’Education Surveillée devenue en 1990 Protection Judiciaire de la Jeunesse (ainsi que tout le secteur associatif d’hébergement et de milieu ouvert habilité ASE ou/et Justice), ainsi que les Clubs de Prévention (officiellement reconnus en 1972).
Bon an, mal an, ces structures et Institutions répondaient aux problèmes posés à la marge par une jeunesse qui trouvait globalement le chemin de l’intégration sociale et économique.
C’est alors qu’un certain nombre de mutations sont venues brouiller quelque peu les cartes.
Le bouleversement des données
L’allongement massif de la scolarisation et la précarité du marché de l’emploi notamment en ce qui concerne l’accès des jeunes ont provoqué un recul considérable dans l’âge du départ du domicile familial et de l’accès à une autonomie financière, professionnelle et sociale.
Sur 7,5 millions de 13-21 ans (1), 4,7 millions (soit 62,6 %) peuvent être considérés comme insérés. 1,75 (23,33%) sont quant à eux en bonne voie de l’être. On considère que 690.000 jeunes sont en voie d’exclusion (soit 9,2%) et que 360.000 sont « en révolte » (soit 4,8%). Cela fait quand même un million cinquante mille en grande difficulté: cela dépasse de loin les capacités de prise en charge traditionnelle des Institutions sociales classiques (qui se situent aux alentours de 230.000 personnes).
C’est ainsi qu’on a vu naître au début des années 80, à partir de deux rapports célèbres (Schwartz et Bonnemaison) tout un dispositif à destination de cette jeunesse en mal d’insertion.
Cela a pu concerner l’Education Nationale (Zone d’Education Prioritaire, aide aux devoirs, ...), l’Information l’Accueil et l’Orientation ( Missions Locales et P.A.I.O., Centres d’Information Jeunesse), la Formation et l’Insertion (Crédit Formation Individualisé, et les différents types de contrats ... Emploi Solidarité, Qualification ...) mais aussi le logement (Boutiques Logement, Allocation Logement à Caractère Social ), la santé ou encore l’aide à la socialisation (Fond d’Aide aux Jeunes, projet « J »). Parmi toutes ces mesures, on trouve tout une partie consacrée à la prévention de la délinquance.
Genèse des opérations prévention été (2)
Au cours de l’été 1981, les banlieues lyonnaises flambent: rodéos, incendie de véhicules volés, affrontements violents avec la police, vandalisme sur les commerces
découragement. La presse s’empare du phénomène et l’amplifie à l’envie donnant au sentiment d’insécurité une ampleur inégalée.
En Avril 1982, un débat a lieu dans les plus hautes instances gouvernementales opposant le ministre de l’Intérieur (Gaston Defferre) partisan de l’instauration de milieux fermés pour les délinquants au ministre de la Justice (Robert Badinter) défendant plus l’idée d’une approche préventive. C’est ainsi que naît le dispositif de « lutte anti-été chaud » inauguré l’été de la même année dans 11 départements-pilotes dont la situation apparaît comme la plus critique.
Il s’agit alors d’offrir les moyens d’accès à des activités de vacances pour des jeunes qui sont traditionnellement exclus ou qui refusent d’en profiter. L’objectif est donc de répondre au désoeuvrement, à l’ennui et à la stigmatisation qui est source de tension, de conflit et de délinquance, en proposant des actions qui favorisent l’apprentissage de comportements sociaux intégrés.
Dans la banlieue lyonnaise, en 1982, ce sont la police et l’armée qui ont été mobilisés pour encadrer des activités essentiellement sportives.
Mais très vite, d’autres partenaires vont être à l’initiative : Protection Judiciaire de la Jeunesse, Administration Pénitentiaire, Clubs de Prévention, Missions Locales, Associations d’Education Populaire, Associations de jeunes, Centres culturels, Mairies. Il suffit au promoteur de monter un dossier et de le présenter à une Cellule Opérationnelle départementale chargée de répartir les crédits.
Quelles actions pour quel public ?
Le public visé est bien entendu, celui en difficulté. Cela n’est pas toujours facile. Il ne suffit pas de diffuser largement l’information par voie de presse ou distribution de brochures en couleur dans les boites aux lettres. Il faut aller vers ces jeunes pour essayer de les convaincre, sans garantie pour autant de réussir à les entraîner. A l’image de ce groupe d’ados qui investit la préparation d’un séjour jusqu’au moment où il s’en retire: ayant appris que celui-ci durait 8 jours, il craignait que cette durée ne le coupe trop longtemps de son lieu de pouvoir, et qu’ainsi un gang concurrent ne le dépossède en son absence de l’emprise qu’il avait sur son territoire.
Il s’agit bien aussi de proposer aux jeunes non des « vacances clés en main » sur un mode très consommateur, mais bien au contraire de les amener à s’impliquer dans le montage des actions, éventuellement dans la contribution de leur financement (même symbolique). Le but est bien de les amener à se projeter dans le temps, à mûrir une intention, à construire un projet.
Dans cette logique, les activités envisagées peuvent être multiples et diversifiées. Elles doivent surtout être innovantes et sortir des sentiers battus des actions traditionnellement proposées par les Centre de Vacances et de Loisirs.
Cela peut être des animations sur le site-même du quartier: fresques murales, réfection des cages d’escalier, stage vidéo ou photo suivis de séances publiques ou d’expos, bar sans alcool, spectacle de rock ou de rap, aménagement d’équipements sportifs de proximité, lieux où les jeunes peuvent se rencontrer.
C’est aussi répondre aux besoins d’évasion et à l’envie qu’ils peuvent avoir de « bouger »: camps à dominante sportive (parapente, escalade, voile) ou simplement de décompression (partir 3 ou 4 jours en camping).
Ca peut être encore des vacances autonomes: un jeune ou un groupe de copains proposent un projet de voyage. Celui-ci sera financé tout ou partie en échange d’un engagement qui peut être l’envoi d’une carte postale et/ou la réalisation d’une expo. photo à son retour..
Mais c’est aussi des actions de formation du type stage de secourisme ou de code de la route.
Chaque année, un nombre toujours plus important de départements se trouvent concernés par ce dispositif Opération Prévention Eté, pour une enveloppe financière globale qui ne suit pas. Constat banal dans le secteur social: il est certes bien plus fondamental de dépenser quelques milliards supplémentaires pour relancer les essais nucléaires ...
Entrant dans sa quatorzième année d’expérience, un certain nombre de constats et de problèmes peuvent être évoqués à propos de ce dispositif.
La crise de croissance des o.p.e.
Certains opérateurs ont une riche expérience derrière eux. D’autres ont du abandonner, faute de financement ou après avoir rencontré trop de difficultés. D’autres encore se lancent juste dans l’aventure. Mais les constats sont souvent les mêmes. On en retiendra ici trois qui sont assez représentatifs.
Premier problème, celui de la formation des encadrants. La plupart des intervenants sont jeunes et titulaires du Brevet d’Aptitude à la Fonction d’Animateur (BAFA) ou du Brevet d’Aptitude à la Fonction de Directeur (BAFD). Quinze jours de formation théorique sont nécessaires pour obtenir l’un comme l’autre de ces brevets qui ouvrent la possibilité de travailler auprès de publics de 3 à 18 ans. Pratiquer l’animation en centre maternel, en centre aéré ou en centre de vacances est une chose. Se trouver confronté à des jeunes en grandes difficulté avec leur lot de toxicomanie, de délinquance, de grande souffrance et d’exclusion en est une autre. Ce qu’on demande à ces animateurs et animatrices relève parfois du travail d’éducateur de rue. Or, non seulement, ils n’ont le plus souvent ni la formation ni l’expérience adéquate, mais en plus ils ne vont exercer cette fonction que quelques semaines dans leur été. Les périodes de sensibilisation proposées en début de saison ne sont qu’un pis-aller insignifiant au regard des besoins en qualification.
La deuxième difficulté à laquelle se heurte le dispositif O.P.E., c’est bien l’absence de pérennisation de l’action engagée. Le désoeuvrement et la délinquance ne sont pas limités aux simples mois d’été. L’approche de ces publics demandent souvent une longue et patiente démarche de mise en confiance. Ce qui est engagé sur quelques semaines n’a pas le temps d’aboutir vraiment ou bien alors retombe dans le néant sitôt arrivé septembre... Conscient de cette réalité, un certain nombre d’opérateurs ont instauré des structures à l’année du type club de jeunes qui préparent, participent et relaient les actions O.P.E.. Mais là aussi, et de façon tout aussi criante se pose la question de la formation des semi-permanents que l’on recrute parfois en Contrat-Emploi-Solidarité ou avec un statut d’Objecteur de Conscience.
Enfin, dernier aspect, mais pas forcément le moindre: comment éviter que ces dispositifs ne se transforment en véritables ghettos, repérés par le reste de la population jeune comme un repère de délinquants et de gens à problèmes ... Comment opérer un brassage minimum, une certaine osmose qui permette d’éviter la stigmatisation des plus en difficultés. Le problème n’est pas théorique: il se pose très concrètement. Faut-il abaisser le seuil de tolérance pour pouvoir accepter les jeunes les plus transgresseurs (au risque de faire fuir les autres) ? Faut-il au contraire l’élever, mais avec le risque de ne pas garder les plus en difficulté ?
Toutes ces questions doivent-elles trouver des réponses institutionnelles ou d’autres plus liées à l’initiative locale ? Le débat est ouvert.
Depuis 1983, se sont créés dans de nombreuses villes de France des Comités Communaux de Prévention de la Délinquance. Regroupant les partenaires travaillant autour de l’adolescence (Justice, Police, Education Nationale, Municipalités, Préfecture, Conseils Généraux, Travailleurs sociaux, ...), ils se penchent sur beaucoup d’aspects du problème: toxicomanie, aide aux victimes, insertion, etc ... Mais, ils restent trop souvent encore des lieux marqués soit par l’immobilisme soit par des enjeux de pouvoir et d’influence politique.
La solution serait peut-être dans la constitution d’un véritable corps professionnel qui se compterait et se structurerait autour d’un certain nombre de revendications de qualification et de statut. Cette fonction qui va tendre à se pérenniser ne s’identifie ni aux animateurs socioculturels, ni aux éducateurs de rue. Elle est à la fois dans le ludique et dans l’accompagnement social, dans les loisirs et dans la prévention, dans l’activité et l’éducatif.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°315 ■ 13/07/1995
(1) À lire à ce propos « L’insertion des adolescents en difficulté. Rapport d’évaluation » Comité Interministériel de l’Evaluation des Politiques Publiques, La Documentation Française, 1993, 374 p.
(2) « Les Opérations Prévention Eté, évaluation » Ministère de la Solidarité de la Santé et de la Protection Sociale, Délégation à la Ville et au Développement Social Urbain.