25 de combat pour la dignité - Nantes (44)

Il arrive parfois que le pire des accidents de vie se transforme en une impressionnante démonstration d’humanité. Illustration avec Maryannick et Joël Pavageau.
 
Il y a 25 ans, alors âgée de 29 ans, Maryannick Pavageau a basculé en dix minutes de la parfaite santé à la dépendance totale. Conseillère juridique et conseillère conjugale au centre d’information féminin et familial à Nantes, un accident vasculaire cérébral la plongea dans une paralysie complète, ses facultés intellectuelles, son ouïe et sa vue restant parfaitement intactes. Après deux mois de coma, elle émergea du locked-in-syndrom -syndrome d’enfermement- ce terrible mal dont était atteint Jean-Dominique Bauby, auteur du célèbre livre « Le scaphandre et Le papillon », dicté lettre après lettre, par le clignement de son œil gauche. Maryannick Pavageau ne pouvait alors, elle non plus, communiquer qu’avec la paupière : récitation après récitation de l’alphabet, elle réussit à dicter quelques messages. Elle mettra un an pour prononcer son premier mot, un an et demi pour remuer un pouce… « Au moins, maintenant elle est capable de faire du stop » commente son mari, quand il l’apprend. « L’humour est la politesse du désespoir » affirmait Oscar Wilde. Pour Joël Pavageau, directeur dans une entreprise de vins de Loire, le trait d’esprit est aussi ce qui peut aider à tenir : à l’image de Dominique, ce jeune homme atteint du même terrible syndrome qui, une quinzaine de jours avant de mourir, transmettra un courriel à Maryannick : « quand on n’a pas de tête, il faut avoir des jambes, mais quand on n’a ni l’un ni l’autre, on n’est pas dans la merde ! »
 
 

S’intégrer socialement

Le couple obtient, après 32 mois d’hôpital, le retour en famille. Maryannick y reçoit des soins de nursing, de kinésithérapie et d’orthophonie. « Malgré leur délicatesse, les aides à domicile  représentent une intrusion dans la vie personnelle ; c’est très difficile. Voilà pourquoi j’assure complètement les soins pendant les week-ends et éventuellement pendant les vacances » témoigne Joël. Le couple a très vite décider de voyager. Leur premier trajet vers Nice fut certes épique, Maryannick étant alors encore hospitalisée. « L’hôtesse de l’air ayant fait remarquer au pilote que j’étais un peu ’’ gonflé’’ de partir avec une femme dans cet état, je lui ai répondu que je n’étais pas ’’ gonflé’’, mais inconscient ! » se rappelle Joël. D’autant que ces voyages se font en utilisant des avions et des hôtels ordinaires. C’est un peu sportif parfois, mais ils y arrivent. Après le Portugal, Israël ou Rome, leur dernier grand voyage aura été la Chine fin 2007, noël à Pékin, et le 1er janvier à Shanghai. Cette impressionnante volonté de vivre a valu à Maryannick Pavageau de recevoir le 6 juin 2008 des mains du Préfet de Loire Atlantique la médaille de l'Ordre National du Mérite. « À travers moi, c’est la dignité de tous les diminués qui a été reconnue, ceux à qui il ne reste que le regard pour communiquer, ceux que dans notre langage de bien portants nous appelons ’’ légumes ’’. Le regard pur, posé sur l’autre, est révélateur de cette dignité » déclare-t-elle, ce jour-là.
 
 

L’euthanasie ?

Quand on aborde la question de l’euthanasie, le couple fait référence à l’étude menée par le professeur Belge Steven Laureys auprès de 65 personnes atteintes de ce syndrome : 73% répondirent avoir rarement ou jamais des pensées suicidaires, contre 5% formulant une demande d’euthanasie immédiate ; 54% affirmèrent vouloir être réanimés, s’ils étaient victimes d’un arrêt cardiaque ; 79% se reconnurent une bonne qualité de vie, liée à trois facteurs : la possibilité de mobilité dans leur entourage, des activités sociales ainsi qu’une diminution des douleurs ressenties. Ce que le témoignage de Maryannick ne fait que confirmer : « mon entourage m’a permis de continuer à vivre, les progrès sont minimes, je ne parle qu’avec difficulté, avec deux doigts j’utilise l’ordinateur, mais à part cela je suis incapable de chasser une mouche. Je suis entièrement dépendante. ». Bien sûr, elle reconnaît être parfois découragée : « il m’arrive ’’ d’en avoir marre’’. Si la souffrance physique peut être soulagée, il reste la souffrance morale. Mais qu’il y a moyen de se raccrocher ». La société lui a donné l’occasion de le faire, quand elle a du dicter par clignement de paupière les conclusions remises au tribunal (rappelons qu’elle est juriste) pour obtenir l’exonération des charges sociales de l’auxiliaire de vie qui intervient 39 heures par semaine, réclamées par l’URSSAF. Et elle a gagné, obtenant par la suite le vote d’une loi pour rendre automatique cette exemption.
 
Ce n’est pas de l’apitoiement ou de la compassion que l’on ressent devant ce couple admirable, mais du respect, de l’admiration, et de l’humilité. Ce que Mary Annick et Joël Pavageau démontrent, c’est la possibilité de vivre dans la différence. Le courage, la force de caractère et l’impressionnante humanité qu’ils renvoient ne peuvent que nous inciter à la plus extrême prudence quand on cherche à déterminer ou commence et où s’arrête la dignité de toute vie.
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°936 ■ 09/07/2009