Pannonica - musique en prison
De la musique derrière les barreaux
Des artistes jouant en prison, ce n’est pas nouveau. Mais, ces initiatives ont pris de l’ampleur depuis 2008, grâce à la persévérance d’un certain nombre d’acteurs. Reportage à Nantes.Le Pannonica est une salle de musiques actuelles située au coeur de Nantes. Cette scène s’est spécialisée, depuis sa création en 1994, dans la diffusion de la musique de jazz. Elle propose deux spectacles par semaine. Les subventions qu’elle reçoit lui permettent de proposer un tarif défiant toute concurrence : entre 7 et 12 € en moyenne, contre cinq à dix fois plus cher dans le circuit commercial, à l’image du Zénith présent dans la même ville. Mais son action ne se limite pas à cette volonté de placer la culture à la portée de bien des bourses. Le Pannonica est aussi engagé dans des actions de soutien à la création : prêt de son plateau technique pour les répétitions ou accueil d’artistes en résidence avec financement de leur création, repérage et accompagnement de groupes régionaux émergeants mais aussi action promotionnelle en direction de nouveaux publics... Ce n’est donc pas n’importe quel lieu culturel qui a répondu favorablement à la convention de trois ans passée, en 2008, entre la Fédurok (la fédération du secteur des musiques actuelles et amplifiées) et le ministère de la justice. Quand Claire Weidmann, chargée de l’action culturelle au sein de Pannonica, prend contact avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation, son intention est bien de faire entrer les musiques actuelles derrière les barreaux. En tant que coordinatrice d’action culturelle et d’insertion, Françoise Mocquard ne pouvait qu’accueillir avec intérêt cette proposition. Ne restait plus qu’à promouvoir cette opération auprès des détenus. Ce qui n’était pas forcément acquis d’avance.
La culture en prison
Car, même si l’univers pénitentiaire est marqué par la routine, l’ennui et le désoeuvrement, c’est à tort que l’on imagine que tout ce qui permet aux détenus d’en sortir constitue une opportunité recherchée. Le public des personnes incarcérées n’est pas forcément plus attentif aux animations culturelles que celui qui est à l’extérieur. En dehors de la prison, la fatigue après le travail, les contraintes familiales, l’absence de motivation … freinent la fréquentation les lieux de culture. A l’intérieur des murs, on est confronté à des hésitations analogues, même si elles n’ont pas les mêmes raisons. Ici, il s’agit plutôt de la méfiance, de l’abattement, de l’hésitation à s’engager et peut-être d’une forme de soumission fataliste à ce qui est décidé pour vous, puisque le quotidien laisse bien peu de place à l’initiative et au choix. Sans compter le travail, la formation, les rendez-vous médicaux, familiaux, sociaux etc … qui rythment la journée des 450 détenus. Comme à l’extérieur, la communication constitue un facteur important pour s’assurer du succès de ce qui est entrepris : affiches, dépliants, information donnée directement… Mais c’est le bouche à oreille qui marche encore le mieux. Facteur essentiel, « l’administration pénitentiaire est favorable à ce type d’action. Elle a d’ailleurs nommé un surveillant gradé référent pour les actions culturelles. C’est un atout pour faciliter l’organisation de ces activités qui doivent prendre leur place dans une circulation des détenus déjà intense », explique Françoise Mocquard.Le projet se concrétise
Un prestataire extérieur rompu à l’action culturelle, des partenaires au sein du centre pénitentiaire à la fois demandeurs et en attente, un public détenu restant à conquérir … il n’y avait plus qu’à trouver l’artiste prêt à se lancer. Néry Catineau, dit Néry, auteur, chanteur et metteur en scène, est justement en résidence musicale au Pannonica, début 2008. Il travaille sur un spectacle qui s’inspire du thème de l’exil. Il accepte d’autant plus une rencontre avec les détenus du centre pénitentiaire de Nantes, qu’il se propose d’alimenter sa production musicale avec les échanges qu’il aura avec eux. Un premier rendez-vous a lieu le 18 février, bientôt suivi de deux ateliers d’écriture et de musique qui se dérouleront les 20 et 21 mars. Un concert final est proposé à une quarantaine de détenus, le 16 mai. Le succès de ce projet incite ses initiateurs à le reproduire l’année suivante. Le 23 avril 2009, le guitariste du groupe de jazz nantais Western Trio, Jean-Jacques Bécam, franchisait les portes du pénitencier, pour dialoguer avec des prisonniers. Quatre séances s’ensuivront avec neuf d’entre eux, axées sur l’initiation aux rythmes et sur l’approfondissement d’une pratique musicale que chacun connaissait déjà. Rien n’était fixé d’avance, surtout pas un projet de retransmission finale qui se déroulerait uniquement si le groupe le souhaitait. Ce qui sera le cas, deux morceaux du groupe étant suffisamment travaillés pour qu’ils soient joués en première partie d’un spectacle que viendra donner Western Trio devant 60 personnes, détenus hommes et femmes, le 19 juin, à l’occasion de la fête de la musique.Renouveler l’opération
Fin 2009, Alexandra Charrier a remplacé Claire Weidmann à l’action culturelle du Pannonica. Mais, c’est avec enthousiasme qu’elle a pris le relais, prête à prolonger, voire à amplifier ce qui a été entrepris. Pour l’année 2010, Jean-Jacques Bécam s’est engagé sur dix nouvelles séances, dont un stage de cinq jours au cours des mois d’été. Le Centre pénitentiaire de Nantes possède un quartier de 30 femmes. Contact a été pris avec Nathalie Desouches, poète sonore, qui s’est montrée tout de suite intéressée pour intervenir auprès des détenues. Un concert-rencontre a été programmé pour le 30 juin 2010, en duo avec Charlène Martin, avec possibilité de continuer sur un stage d’une semaine. La collaboration entre le monde de la musique et celui de la prison a donc pris un bon départ. Il ne s’agit pas là seulement de proposer des loisirs aux détenus, mais tout autant d’établir un lien avec l’extérieur. Il existe bien un orchestre de variété composé de prisonniers. Mais là, ce sont de vrais artistes se produisant dans des salles de spectacle, que l’on peut approcher et avec qui on peut même travailler. En outre, l’accès à un style musical sortant des sentiers battus de ce que l’on entend traditionnellement sur les ondes radio joue un rôle d’ouverture sur la différence. Cette action pourra-t-elle se pérenniser ou sera-t-elle une parenthèse rapidement refermée ? Cela dépendra de la bonne volonté des partenaires … et des financements croisés du ministère de la justice, du ministère de la culture et des salles qui comme le Pannonica investissent dans ce type d’opération temps, énergie et savoir-faire qui représentent un coût.Contacts : www.pannonica.com
Alexandra Charrier : 02 40 48 76 66 / action-culturelle@pannonica.com
Rencontre avec Jean-Jacques Bécam - guitariste du groupe « Western trio »
« C’était la première fois que j’entrais ainsi à l’intérieur d’un établissement pénitentiaire. J’avoue avoir été un peu impressionné, au début : passer les sas successifs, avec la porte qui se referme derrière vous, ça laisse quand même une drôle d’impression. Ensuite, je me suis habitué. Entrer en contact avec les détenus a été assez simple, finalement, car j’ai commencé par jouer avec ma guitare. J’ai l’impression d’avoir été reconnu à travers mon savoir faire et ma technique musicale. Même si je ne m’étais pas fait de représentation particulière du public que j’allais rencontrer, j’ai été très surpris de sa motivation. Les neufs détenus qui ont suivi mon atelier réussissaient à réaliser entre les séances les exercices rythmiques que je leur donnais à effectuer. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la difficulté qu’ils rencontraient à s’écouter entre eux. Chacun jouait pour soi, sans essayer de s’harmoniser avec les autres. C’est là où on a réussi à faire le plus de progrès. J’ai le sentiment que le travail effectué ensemble a permis de casser la hiérarchie qui se crée au sein de la prison, la musique devenant un langage commun et un support liant les participants les uns aux autres. Si j’ai pris beaucoup de plaisir à cette intervention, c’est aussi parce que j’ai trouvé des similitudes avec certains publics en difficulté auprès desquels j’ai déjà eu l’occasion d’intervenir. C’est un peu comme si l’univers magique de la musique faisait oublier les différences et les difficultés. C’est le jour du concert final, le 19 juin, que j’ai été ramené à la réalité, face au soixante spectateurs détenus séparés entre d’un côté les hommes, et de l’autre les femmes. Je me suis engagé à intervenir, à nouveau, en 2010. Mais, je ne me vois pas participer ainsi, chaque année. Je finirai par faire partie des murs. Et je crois, qu’en tant qu’artiste, on a besoin de se renouveler. »
« C’était la première fois que j’entrais ainsi à l’intérieur d’un établissement pénitentiaire. J’avoue avoir été un peu impressionné, au début : passer les sas successifs, avec la porte qui se referme derrière vous, ça laisse quand même une drôle d’impression. Ensuite, je me suis habitué. Entrer en contact avec les détenus a été assez simple, finalement, car j’ai commencé par jouer avec ma guitare. J’ai l’impression d’avoir été reconnu à travers mon savoir faire et ma technique musicale. Même si je ne m’étais pas fait de représentation particulière du public que j’allais rencontrer, j’ai été très surpris de sa motivation. Les neufs détenus qui ont suivi mon atelier réussissaient à réaliser entre les séances les exercices rythmiques que je leur donnais à effectuer. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la difficulté qu’ils rencontraient à s’écouter entre eux. Chacun jouait pour soi, sans essayer de s’harmoniser avec les autres. C’est là où on a réussi à faire le plus de progrès. J’ai le sentiment que le travail effectué ensemble a permis de casser la hiérarchie qui se crée au sein de la prison, la musique devenant un langage commun et un support liant les participants les uns aux autres. Si j’ai pris beaucoup de plaisir à cette intervention, c’est aussi parce que j’ai trouvé des similitudes avec certains publics en difficulté auprès desquels j’ai déjà eu l’occasion d’intervenir. C’est un peu comme si l’univers magique de la musique faisait oublier les différences et les difficultés. C’est le jour du concert final, le 19 juin, que j’ai été ramené à la réalité, face au soixante spectateurs détenus séparés entre d’un côté les hommes, et de l’autre les femmes. Je me suis engagé à intervenir, à nouveau, en 2010. Mais, je ne me vois pas participer ainsi, chaque année. Je finirai par faire partie des murs. Et je crois, qu’en tant qu’artiste, on a besoin de se renouveler. »
Lire le compte rendu de colloque Fedurok - 2009 - Musique en prison et l'interview Galan Olivier - Musique en prison
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°967 ■ 01/04/2010