Fedurok - 2009 - Musique en prison

Que vient faire la culture et singulièrement la musique en milieu carcéral ? Un partenariat fécond s’est établi depuis trois ans pour permettre cette rencontre. Retour sur une action qui doit pouvoir essaimé.
 
Scène surréaliste au cœur de la vieille maison d’arrêt de Dunkerque qui est l’une des dernières en France à ne pas posséder de cellules individuelles et qui entasse entre quinze et vingt détenus dans chacun de ses quatre dortoirs. Un groupe de musique tsigane se lance dans une déambulation de salle en salle, ne réussissant que progressivement à tirer quelques uns des prisonniers de la prostration qui les cloue sur leur lit. Image détonante que cette anachronique alliance de l’ombre et de la lumière.
L’ombre, c’est cet espace déshumanisant qu’est une prison qui brouille les repères spatio-temporels, qui infantilise, qui impose la promiscuité, qui désocialise. La lumière, c’est l’accès à la culture et à la musique symboles d’une liberté et d’une capacité d’improvisation totalement totalement étrangères à cet espace confiné et castrateur. Cette rencontre improbable s’est produite dans 11 centres de détention en 2007 et dans 18 d’entre eux en 2008. Ils étaient 27 en 2009. Le séminaire organisé à Magny-le Hongre, en Seine et Marne aux portes d’Euro Disney land, le 10 décembre dernier avait pour ambition d’amplifier cette participation, en la proposant aux 75 salles de musiques actuelles adhérentes à la fédération Fédurok.
 
 

Le partenariat en action

Cette spectaculaire progression est le fruit d’une fructueuse collaboration entre plusieurs partenaires. Il y a d’abord l’administration pénitentiaire qui n’a cessé depuis plus de 20 ans de prendre des engagements à faire entrer la culture dans le monde fermé de la prison : trois protocoles ministériels (1986, 1990 & 2009), deux circulaires interministérielles (1992 & 1995) et une charte de mission (1998). Ces déclarations solennelles ne sont pas restées que formelles : le ministère de la justice consacre  2,5 millions d’euros chaque année à cette action et 600 conventions d’intervention ont été signées avec des partenaires extérieurs. « Lire en fête », « La journée du patrimoine », « Le printemps de poètes », « La fête de la musique » sont autant d’occasions pour proposer des ateliers, des concerts, des animations … Il y a ensuite la fédération Fédurok qui a décidé de se lancer dans une véritable opération d’incitation et de facilitation auprès de ses adhérents pour les aider à lancer et surtout à pérenniser ces actions. L’objectif est bien de proposer l’intervention d’artistes, en garantissant la même qualité que ce qui est assuré dans les salles de spectacle de la fédération. Autre partenaire incontournable, les conseillers du Service de probation et d’insertion professionnelle dont le rôle d’interface et de cheville ouvrière est primordial pour organiser ce type d’action. Les 150 dossiers que chaque professionnel a, en moyenne, à gérer ne leur donnent guère le loisir de se consacrer à autre chose qu’à l’essentiel. Et pourtant, leur mobilisation et leur investissement ont été la condition princeps du succès.
 
 

Des obstacles à franchir

De multiples facteurs viennent pourtant potentiellement contrarier un tel projet. Il y a d’abord les contraintes architecturales. La plupart des établissements pénitentiaires datent de plus d’un siècle : leurs bâtiments vieillissant ne sont guère adaptés pour accueillir des manifestations culturelles. Encore moins des concerts de musique amplifiée ! Souvent, l’endroit le plus approprié est la cour de promenade. Il y a ensuite les entraves humaines : nombre de personnels de l’administration pénitentiaire voient dans ces actions un simple amusement ou une distraction bien luxueuse dont ils ne voient pas l’utilité. Il y a encore le manque de formation de celles et de ceux qui, convaincus de la pertinence de cette opportunité, ne sont pas pour autant préparés à l’accompagner. Il y a encore la vie quotidienne de l’incarcération : parloirs famille, service des repas, douches, promenade, transfert vers le service scolaire ou professionnel, visiteurs de prison, … tout est coordonné et programmé à l’avance selon une mécanique bien huilée. Toute innovation vient bousculer cet ordonnancement et nécessite un effort supplémentaire d’organisation. Il y a enfin la rigidité du cadre administratif : l’introduction d’un groupe de musique nécessite ainsi l’établissement d’une liste précise du matériel à transmettre quinze jours à l’avance et qui ne peut ensuite être modifiée. Illustration de ces procédures, l’anecdote de la prise de mesure des cordes d’une harpe, à l’entrée puis à la sortie, afin sans doute de vérifier si on n’en avait pas prélevé frauduleusement quelques centimètres propices à un projet d’évasion.
 
 

Resocialiser par la musique

La musique joue pourtant un rôle tout à fait important dans la réhabilitation sociale des détenus. Mickaël Andrieu (1), musicologue et intervenant depuis de longues années en prison, multiplie les arguments pour justifier des bienfaits de cette action. Il explique d’abord comment  le monde de l’incarcération est un univers de bruits subis. Si l’on peut fermer ses yeux, explique-t-il, on ne peut en faire autant avec ses oreilles. Les sons parasitaires s’imposent chacun, sans qu’on puisse y échapper. Participer à un atelier de musique, c’est faire des choix et agir sur ce qu’on entend. Autre dimension essentielle, l’occasion unique donnée de côtoyer d’autres styles que ceux auxquels on adhère. A l’extérieur, on se regroupe par genre. En prison, dans les ateliers proposés, on côtoie forcément des écoles différentes : il y a dès lors un brassage et un métissage qui ouvrent à la tolérance et à la découverte de ce que l’on ne connaissait pas, ainsi qu’une incitation à renoncer aux préjugés. Sans compter que faire de la musique en groupe, c’est non seulement apprendre à écouter l’autre, mais aussi apprendre à se faire écouter. Florine Siganos (2), sociologue, insistera sur la réhabilitation de l’estime de soi qui émerge alors, n’hésitant pas à évoquer une dimension thérapeutique qu’apporte l’activité en petit groupe, le retissage de lien qu’elle favorise, l’espace de liberté qu’elle propose et la rencontre unique qu’elle assure auprès d’un public au capital culturel le plus souvent assez faible. 
 
 

Pérenniser et essaimer

L’activité culturelle en prison est-elle un levier essentiel à la réinsertion des détenus ou est-elle avant tout un droit imprescriptible à garantir à tout citoyen en dedans comme au-delà des murs ? Est-elle un support à l’épanouissement individuel ou un média permettant d’organiser la porosité de ce lieu d’enfermement ? C’est sans doute à la fois l’un et l’autre. Reste au final une rencontre qui apporte force et émotion tant aux artistes qui s’y prêtent qu’aux détenus qui y assistent. C’est ce prisonnier qui affirme que le concert auquel il a participé lui a « gommé les barreaux de sa cellule ». C’est cet autre qui a déjà tenté par deux fois de s’évader et qui déclare, après un spectacle proposé à noël, « c’est la troisième fois que je m’évade de Clairvaux ». C’est encore ce témoignage livré dans le documentaire de Julien Sallé « Or, les murs » : « on est des êtres humains, il reste quelque chose d’humain en nous, quelque chose d’intéressant. Pour moi, c’est une forme de revanche : ça montre qu’il n’y a pas tout de mauvais en nous ». Le combat pour la culture en milieu carcéral est loin d’avoir abouti. Mais les premières batailles gagnées ces dernières années, grâce aux efforts conjugués de l’administration pénitentiaire, des SPIP et des associations de la Fédurok ne peuvent que donner espoir à toutes celles et tous ceux qui y sont engagés.
 
 
(1) « De la musique derrière les barreaux » Michaël Andrieu, L’Harmattan, 2005
(2) « Action culturelle en prison. Pour une définition du sens de la peine » Florine Siganos, L’Harmattan, 2008

 
Lire le reportage Pannonica - musique en prison et l'interview Galan Olivier - Musique en prison

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°967 ■ 01/04/2010