D’Elin à Wilson: comment ne plus laisser des ados à la rue

Face aux carences de la solidarité que devrait assurer l’action sociale, la société civile s’organise et se mobilise un peu partout en France. Illustration à Nantes avec l’association Solidarité Jeunes Majeurs et Mineurs Isolés Étrangers (SJMMIE).

Ils s’appellent Mamadou ou Hakourou, Abdoulaye ou Djibril, Locénie ou Galadio, Modibo ou Baba. Ils sont âgés de 15 à 17 ans et viennent du Mali, de Côte d’Ivoire, de Guinée, du Cameroun ou du Bengladesh. Attirés par une Europe qui leur apparaissait opulente et prometteuse, ils ont traversé bien des dangers pour fuir la misère, la guerre ou l’insécurité. Arrivés jusqu’à Nantes, ils n’ont pas été pris en charge par le Conseil départemental qui conteste leur minorité. En août 2015, révoltées par l’état d’abandon dans lequel vivent ces ados, des associations(1) se regroupent pour les mettre à l'abri, puis étendent leur action à la scolarisation, tout en continuant à faire avancer leur situation juridique. Huit d’entre eux se sont installés dans une maison vide occupée depuis quatre ans par un collectif d’artistes. Les jeunes la baptisent Elin (Oasis). Deux ans après, l’association SJMMIE qui depuis s’est constituée, accompagne 110 jeunes éparpillés dans trois squats et dans des hôtels. En avril 2017, après l’expulsion d’Elin, Wilson a pris sa place : c’est un hangar appartenant à la mairie qui tolère la situation. La vie s’y organise sous la protection d’un « grand frère », migrant lui-même, exerçant au quotidien une supervision bienveillante. Trois militantes, issues du secteur social, assurent une référence adulte et un accompagnement du fonctionnement du squat. Elles regroupent les jeunes une fois par mois pour échanger, organiser la vie commune et répartir les tâches quotidiennes. Ce sont aussi elles qui les ont aidés à rédiger une charte dont les règles sont simples et minimales : interdiction de l’alcool et de la drogue, de la violence et du vol. « Pour éviter que le squat ne soit envahi par des adultes et que des mineurs soient confrontés à des plus âgés, l’hébergement de ces derniers est interdit », explique Christine, l’une des accompagnatrices. « En deux ans, le squat est passé de huit à vingt cinq. Chacun dispose d’un matelas. Mais, la cohabitation est déjà suffisamment compliquée à vivre, pour que nous ayons posé ensemble avec le groupe l’interdiction de l’hébergement de filles », complète Brigitte. Une dizaine de bénévoles ont assuré en 2017 le transport des 32 tonnes de nourriture achetées à la banque alimentaire ainsi que les colis alimentaires du secours populaire ou des Restos du cœur. Un réseau de huit familles assure un accueil ponctuel, en week-end ou en semaine pour rapprocher les jeunes de leur établissement scolaire, les soutenant dans leurs devoirs et parfois dans l'apprentissage de la lecture et de l’écriture. D’autres associations s’occupent de la scolarisation. Sur les 25 jeunes présents, 19 fréquentent collèges et lycées privés, les 6 autres allant à l’école hors les murs ou à l’école populaire pour des cours d’alphabétisation. Le budget d’une telle action ? Il est conséquent pour ce qui relève de l’initiative citoyenne, mais infime au regard des sommes allouées à un foyer d’hébergement de mineurs. Quand le prix pour une journée d’accueil en protection de l’enfance varie entre 100 et 150 euros, le coût de la prise en charge pour chacun de ces mineurs à la rue se monte à 100 euros pour l’année 2017. Les 11.200 euros dépensés pour 110 jeunes l’ont été à 75 % pour l’alimentation, le reste servant aux achats de produits d’hygiène ou d’entretien, de gaz et aux menus travaux dans les squats. Leurs ressources ? De rares subventions, des recettes de concert et des dons privés. La mobilisation de la société civile est spectaculaire. Mais, elle dénote en creux la défaillance du dispositif étatique dont elle a pris le relais.

 

(1) CIMADE, DAL, GASPROM, LDH, MDM, MRAP, RESF

 

L’association Solidarité Jeunes Majeurs et Mineurs Isolés Étrangers a été habilitée fin 2017 pour recevoir des dons déductibles de impôts (sjmmie@laposte.net)

 

 

Jacques Trémintin - Journal de L’Animation  ■ n°188 ■ avril 2018