Survivre en squat (44)

Après l’évacuation policière de deux squats, sur Nantes, le 7 mars  un troisième résiste grâce au soutien de trois travailleurs sociaux.

Les papiers d’identité d’Aboubacar, qui est arrivé de Guinée Conacry à 16 ans, avaient pourtant été validés par la police de l’air et des frontières. Le procureur a demandé un test osseux sensé déterminer son âge. Preuve non scientifique, car laissant une marge d’erreur allant de 18 mois à deux ans, il a néanmoins été déclaré majeur et renvoyé à la rue. Mafany, 16 ans lui aussi, a fait le voyage depuis le Cameroun. Il a subi une évaluation sommaire qui a conclu qu'il n’avait pas l’air d’un mineur. Sa mise à l’abri lui a été refusée. Ils sont une dizaine d’adolescents regroupés, ce jour-là, autour du poêle à bois, à se réchauffer (sur 25). Dehors, le Moscou-Paris frigorifie la ville. La nuit, ils la passent, côte à côte, au premier étage glacial du hangar désaffecté qu’ils ont investi en avril 2017, après s’être fait expulser du squat précédent. La mairie tolère cette occupation, réglant même l’eau et l’électricité, jusqu’à ce que commencent les travaux du futur CHU prévu à cet endroit. Petit à petit, le groupe de mineurs s’est organisé. Deux adultes migrants veillent au quotidien sur eux, servant de grands frères référents à la fois sécurisants et protecteurs. Tout un réseau s’est organisé pour les soutenir. Une dizaine de bénévoles les accompagnent pour acheter leur nourriture à la banque alimentaire (32 tonnes en 2017). Huit familles assurent un accueil ponctuel, en week-end ou en semaine. Annie, Brigitte et Christine, deux éducatrices spécialisées et une assistante sociale (dont deux en retraite), ont pris le squat sous leur aile. Elles accompagnent toutes les démarches nécessaires pour tenter de faire évoluer la situation de chaque jeune. Au niveau juridique d’abord : deux juges des enfants ont accepté d’étudier les recours pour tenter de faire reconnaître leur minorité. Mais, les délais sont longs pour réunir les pièces demandées. Et le dossier complété, la décision du magistrat peut prendre de 6 à 8 mois. Au niveau scolaire, ensuite : le rectorat ne scolarise que les élèves reconnus mineurs. Seuls les collèges catholiques et les maisons familiales rurales y dérogent. Plusieurs enseignants bénévoles de « l’École populaire » proposent donc tous les matins l’apprentissage du français. Quant à l’intervention éducative, elle est constante. « Les jeunes sont très solidaires les uns avec autres. Au début c’était plutôt conflictuel. Nous les avons aidés à rédiger une chartre : interdiction de l’alcool et de la drogue, de la violence et du vol », explique Annie. Ces ados apparaissent effectivement apaisés. S’y croisent les langues d’Afrique et d’Asie. Mais, une mimique échangée, un regard complice ou un éclat de rire font office de langage universel. « Dès le début, nous avons beaucoup insisté pour qu’ils ne se regroupent pas par ethnie. Aujourd’hui, il se mélangent tout le temps », rappelle Christine qui rejoint le squat après avoir accompagné un mineur chez le médecin. Ces jeunes n’ont pas choisi d’être là. C’est bien le rejet de leur prise en charge qui les y a conduits « en deux ans, le squat est passé de huit occupants à vingt-cinq » s’inquiète Brigitte. Certains disparaissent, d’autres arrivent, chacun attendant une solution durable pour partir. Quelques subventions, des dons privés, des recettes de concert de solidarité ont permis de financer toute cette action : 150 euros par jeune auront été dépensés non pour une seule journée comme cela est fréquent dans notre secteur, mais pour l’année. Pour autant, rien n’est garanti. C’est au jour le jour que la survie s’organise.

 

Habilitée pour recevoir des dons déductibles des impôts, « Solidarité Jeunes Majeurs et Mineurs Isolés Étrangers » finance le squat  (sjmmie@laposte.net)  

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1226 ■ 03/04/2018