Permis de Construire : le droit de rêver
Plus de 50% d’augmentation de la population carcérale en 15 ans, priorité donnée à la lutte contre la récidive, multiplication des lois répressives … et la réinsertion dans tout cela ? Une belle association y travaille avec succès.
A 42 ans, Basile vit seul au fond d’un jardin, dans une cabane, sans eau, ni électricité. La propriétaire le tolère : il ne lui a jamais posé de problème. Condamné à un sursis avec mise à l’épreuve pour conduite en état d’ivresse sans permis, son conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation l’a orienté vers Permis de Construire une association travaillant à la réinsertion des personnes placées ou passées sous main de justice. Chacun peut y bénéficier d’un suivi individualisé et participer à des ateliers collectifs. Basile investit l’aide qui lui est proposée, réussissant à stabiliser ses problèmes d’alcool, à trouver un travail dans le bâtiment comme peintre, grâce à une entreprise d’insertion et un logement en HLM, par l’intermédiaire d’un CHRS. Boukrane, quant à lui, est âgé de 33 ans. Il est diplômé Bac + 3 en écotourisme, titre obtenu en Tunisie. Il n’a jamais pu exercer le métier auquel le destinait sa qualification universitaire. Il travaille avec son beau-frère dans le BTP. C’est un sursis avec mise à l’épreuve de deux ans infligé pour vol qui l’amène à Permis de Construire. Il fréquentera peu les ateliers collectifs, investissant surtout l’accompagnement pour tenter de réaliser son rêve : s’inscrire en formation pour devenir mécanicien automobile. Ces deux destins pourraient faire croire que le parcours de réinsertion s’apparente à un conte de fée. Il n’en est rien. Au bout d’un an d’effort, Basile a quitté travail et logement, pour réintégrer sa cabane. Au bout de huit mois, n’en pouvant plus de vivre avec le RSA, Boukrane a repris ses chantiers dans le BTP.
Quelles finalités ?
Échec ? Pas forcément ! Si Basile a renoncé, c’est en toute connaissance de cause, faisant un choix, sinon libre, du moins éclairé. Quant à Boukrane, il finira par se faire recruter dans un garage. Le travail de Permis de Construire ne consiste pas à normaliser le parcours de vie, en l’insérant à tout prix dans un modèle standardisé. Si l’objectif fixé est bien de se centrer sur la personne, c’est avant tout en lui donnant la possibilité d’imaginer une autre vie. « Notre ambition, c’est de prendre les personnes là où elles sont, pour les emmener là où elles ne sont jamais allées » explique Cyril Maury fondateur et Président de l’association qui aime bien citer cette phrase de Shakespeare : « ils ont échoué, parce qu'ils n'ont pas commencé par le rêve ». Cette volonté de rendre le sujet acteur de son cheminement se concrétise le vocabulaire utilisé. Ici, pas de personne accompagnée, ni de travailleur social référent, mais un pilote (celui qui dirige sa propre action d’insertion, c’est le premier concerné) et un copilote (celui qui balise le chemin à parcourir). Cette co-construction se fonde sur des valeurs qui articulent l’exigence professionnelle et des postures humanistes. Si les intervenants doivent être dotés de la qualification, du savoir-faire et du savoir-être nécessaires, la musique qu’il joue respecte une partition faite de bienveillance, de croyance dans l’autre et d’absence de jugement. Par réciprocité, celui qui vient à la rencontre de Permis de Construire se doit de s’engager, de s’impliquer et de se mobiliser, certes à son rythme et selon ses capacités, mais avec l’envie de progresser.
L’action au quotidien
Cela ne signifie pas, pour autant, que l’association ne sélectionne que les plus motivés. Bien au contraire, le public qu’elle reçoit est parmi les plus fragilisé et les plus éloigné de l’insertion. La personne sous main de justice connaissant un accident de parcours, mais en capacité de s’en sortir assez vite n’a guère besoin de son aide. Ce qui n’est pas le cas de la grande famille multi-carencée des « sans » : sans emploi, sans qualification, sans domicile, sans autonomie, sans entourage sur qui s’appuyer. Ce sont justement ceux-là que Permis de Construire accueille en priorité. En sept ans d’existence, c’est quatre cents personnes qui ont été ainsi accompagnées, avec un taux de récidive plafonnant à 7 %. La durée minimale pour reprendre confiance en soi et rebondir est de trois mois. Au-delà d’un an, l’action risquerait de s’enkyster dans l’occupationnel. L’objectif affiché est bien de n’être qu’un passage, un sas et une transition et non une nasse, un cul de sac ou une souricière. Permis de Construire a rempli sa mission, quand on n’a plus besoin de lui ! Pour y arriver, l’association s’est entourée de différentes personnes ressources. Quatre professionnels, d’abord, qui occupent la fonction de copilotes, proposant un suivi personnalisé ou des ateliers collectifs. Outre les entretiens individuels qui scandent la semaine, chacun est sollicité pour participer à des activités diversifiés : groupe de réflexion, atelier d’écriture, initiation à l’informatique, travail sur le CV, simulation filmée d’un entretien d’embauche, découverte d’un métier, repas commun avec acteur de terrain, visite culturelle. Si le noyau de permanents assure une présence quotidienne, il est secondé efficacement par des intervenants extérieurs. Désignés comme « coopérateurs » dans le jargon de l’association, ils animent ponctuellement des ateliers en s’appuyant sur leur l’expertise : sophrologie, psychologie, activité sportive, et même …résolution de conflits.
Projet associatif
Toutes ces actions ne sont pas programmées au hasard, comme pour combler un vide ou remplir un emploi du temps. La démarche d’insertion est structurée autour de quatre piliers fondamentaux qui donnent sens à l’accompagnement et constituent les fondements de sa légitimité. Le premier, le bien vivre, se rattache au champ du social : c’est l’apprentissage de la vie en société avec ses droits et ses obligations. La gestion du quotidien, l’accès au logement et le rapport à l’argent, par exemple, en font partie intégrante. Seconde approche relevant du champ du développement personnel : le bien-être psychologique. C’est tout ce qui passe par une meilleure connaissance de soi, de ses compétences et de ses limites, par un contrôle plus efficient de ses émotions et par une affirmation de soi permettant de construire son projet de vie. La troisième direction correspond au champ de la santé physique : le bien-être corporel. Avec, au programme : prendre soin de sa santé, faire attention à son hygiène de vie et son alimentation, gérer ses addictions, pratiquer des activités sportives. La quatrième orientation relève de l’activité et professionnelle : c’est le bien faire. Cette séquence se centre sur l’apprentissage des outils technique permettant de s’immerger dans le monde du travail : stage en entreprise, rédaction d’un CV, réalisation d’un entretien d’embauche etc … La démarche est donc claire et cohérente : le pilote ne peut progresser dans son projet de vie qu’il va petit à petit se construire, sans acquérir un minimum de sérénité et d’épanouissement personnel. Et cela passe par l’amélioration de son image de soi et de la confiance dans ses compétences. Son plan d’action, c’est le pilote qui l’élabore, en s’appuyant sur la bienveillance des copilotes. Il le construit en choisissant les séquences auxquelles il veut participer dans le panel qui lui est proposé sur le planning mensuel.
L’associatif en relais
Des associations comme Permis de Construire, il en existe très peu dans l’hexagone. Plusieurs raisons permettent d’expliquer pourquoi le dispositif d’insertion judiciaire se prive d’un outil aussi précieux. Première raison : l’externalisation en question. Tout conseiller du SPIP (Service pénitentiaire d'insertion et de probation) dont la file active peut aller de 100 à 150 personnes, tant en milieu carcéral qu’en milieu ouvert, ne peut que rêver de travailler dans les conditions de Permis de Construire : quatre professionnels pour accompagner une vingtaine de personnes sous main de justice (une centaine par an). On ne peut que se poser une question légitime : en finançant ce type d’association, au lieu de développer les mêmes compétences en son sein, le service public ne s’achemine-t-il pas vers une privatisation larvée ? Et c’est là qu’intervient la seconde raison expliquant la fragilité du modèle : Permis de Construire est surtout financé par des dons privés (voir encadré). L’État peut d’autant plus se féliciter de l’action d’une telle association que sur 100.000 € de budget annuel en 2017, il n’y contribue qu’à hauteur de 20.000 € ! Pour autant, conscients de la qualité du travail accompli, les conseillers du SPIP sont les premiers prescripteurs, rejoints depuis 2015 par l’Association d’Action Éducative 44 qui exerce des mesures de contrôle judiciaire. Est-ce le fait d’un manque d’information ou le résultat d’a priori, Permis de Construire est loin d’être saturé. Il pourrait même doubler son action, en passant le nombre de pilotes de cent par an à deux cents. « Avec nos quatre copilotes professionnels, nous sommes quand même très, très loin de constituer une menace par rapport aux 4.000 conseillers. Nous proposons une complémentarité et non une concurrence » conclue Ludovic Dardenne, directeur d’une l’association en attente de plus de subventions de l’État. Même s’i elle est loin de répondre aux besoins du service public, l’annonce récente du recrutement de 1000 nouveaux conseillers pour les SPIP semble écarter le risque de privatisation. Le parcours du secteur social a toujours été parsemé d’appel au monde associatif. L’initiative originale que Permis de construire déploie depuis 2010 en est une bonne illustration. Elle mérite certainement d’être reconnue, encouragée et amplifiée.
http://www.assopermisdeconstruire.org
D’où vient Permis de Construire ?
Quand il prend sa retraite, en 2004, Cyril Maury retire un très bon prix de son entreprise. Il décide avec toute sa famille de créer une fondation : les intérêts du capital investi seront redistribués sous forme de dotations à toute association candidate sélectionnée pour la valeur de sa lutte contre l’isolement et la grande pauvreté. « Après demain » a déjà financé plus d’une soixantaine d’associations. Mais, cela n’était pas suffisant. Aider des prestataires, c’est bien, mais mettre les mains dans le cambouis, c’est mieux. Le choix qui est alors fait de se tourner vers les personnes sous main de justice se fonde sur trois motivations. La conviction, d’abord, que chacun possède en soi un talent qui ne s’est pas forcément épanoui. Bien exploitées, ces capacités peuvent devenir des compétences. Cela concerne notamment ces personnes sous main de justice qui souvent ne croient plus en elles, après n’avoir subi toute leur vie que des discours négatifs. L’attachement, ensuite, à cette liberté dont sont privés ou menacent de l’être ceux qui ont à faire avec la justice. Le parcours d’insertion qui leur est proposé ne soit pas les enfermer, mais les ouvrir sur leurs rêves. Contribuer à réhabiliter une population trop souvent fustigée et méprisée, enfin, en démontrant leur valeur. Le 22 janvier 2010, Cyril et Margot Maury déposaient en préfecture les statuts de l’association Permis de Construire. « Après demain » la dotera à hauteur de 45.000 euros annuels, réduisant progressivement sa participation au fur et à mesure que d’autres financements interviendront.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1227 ■ 19/04/2018