La contention en éducation spécialisée

Atteinte à la liberté ou protection ?

Si la possibilité de contention en psychiatrie a récemment été reconnue par la loi, il n’en va pas de même pour le secteur socio-éducatif qui ne bénéficie que de préconisations éthiques. État des lieux.

 
L’audience dans le bureau du juge des enfants avait bien débuté. L’adolescent était calmement assis à côté de sa mère. Un moment de frustration insupportable et tout avait basculé. Menaces, insultes, grossièretés ... Tout y était passé à l’encontre du magistrat, bouc émissaire de tant de souffrances accumulées. Expulsé de la pièce, le jeune y était revenu, menaçant cette fois-ci physiquement le juge. L’éducateur présent s’interposant alors, tenta de le calmer. Le dialogue échouant, il dut se résoudre à le plaquer au sol, encouragé par la réflexion de l'adolescent: « vous n’allez me faire une contention ? », antiphrase invitant à une neutralisation, ultime arrêt d’agir évitant l’irréparable. Le professionnel témoignera par la suite de son malaise et de sa culpabilité d’avoir agi ainsi, surtout devant les yeux d’un représentant de la loi. L’article 432-4 du Code Pénal ne dispose-t-il pas que « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner ou d’accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende » ? Or, la liberté d’aller et venir est une composante intégrale de la liberté individuelle. La contention se situe entre le Charybde d’une passivité relevant de la non-assistance à personne en péril et le Scylla d'un geste potentiellement attentatoire au droit humain.

 

De la violence au retrait

L’éducation spécialisée traîne derrière elle un passif que l’on ne saurait ignorer. Les châtiments corporels firent longtemps partie des pratiques coutumières face aux enfants et adolescents un peu trop rétifs à l’autorité adulte que ce soit à l’école, dans la famille, dans les prisons ... Mais aussi dans certains internats éducatifs qui marquaient le retour de fugue par un bien sinistre rite : l’impétrant passait successivement dans le bureau du directeur, du chef de service et des éducateurs, étant à chaque fois battu, avant d'avoir les cheveux rasés et de terminer au cachot. Cette habitude ne choquait pas plus les équipes, que la famille ou les victimes, tant cela faisait partie des moeurs dominantes de l'époque. Aujourd’hui, de tels actes mèneraient leurs auteurs à rendre des comptes devant la justice. Le vote par l’Assemblée nationale, le 1er juillet 2016, d’un article de loi est une excellente illustration de cette inversion de valeurs. Dorénavant, les devoirs liés à l’autorité parentale excluent explicitement « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ». Cela fait quelques générations d’éducateurs déjà que la « claque pédagogique » est prohibée. Car, si la mission de cette profession comporte bien l'obligation d'avoir à garantir la sécurité de tous et de chacun, rétablir l’ordre par la violence ne fait partie ni de son profil de poste, ni du sens de ses missions ; la formation initiale, pas plus que continue qui y préparent ne programmant d’exercice à la contention physique.

 

Le monopole de la violence

Tout au contraire, nombre d’équipes ont déjà eu l’occasion de faire valoir leur droit de retrait face à des situations de violence faisant peser une grave menace tant sur leur intégrité que sur celle du public qu'elles accompagnent. En refusant de prendre leur poste de travail, elles marquaient clairement leur refus d’avoir à intervenir pour s’opposer physiquement à un usager par trop agressif. Ce choix est logique, car la société a délégué aux seules forces de l’ordre le monopole de la violence. Ce droit à exercer la force et la contrainte, conçu comme protecteur des intérêts de la collectivité et de la sécurité de la personne, est encadré par deux principes : l’absolue nécessité et la proportionnalité. Les fréquentes réactions venant dénoncer les bavures policières montrent l’extrême vigilance de la société civile face aux dérives potentielles. Les professionnels socio-éducatifs sont donc légitimes à se retrancher derrière cette spécialisation dévolue à la police et à la gendarmerie pour leur faire appel, quand cela est nécessaire. Pour autant, entre l’encadrement musclé d’autrefois et l’abstention d’aujourd’hui, il est nécessaire parfois de trouver une posture médiane. Tout simplement, parce qu’il arrive que le passage à l’acte violent ne laisse pas le temps de faire appel et impose une réaction sans délai. Il est difficilement imaginable de rester passif face à une mise en danger immédiate, au risque de faire  courir un risque majeur tant aux usagers qu’aux professionnels. La seule solution, en de telles circonstances exceptionnelles, est bien d’avoir recours à la neutralisation, par contention.

 

Le point de vue du juriste

La loi du 26 janvier 2016 introduit pour la première fois la contention dans la législation, comme un geste possible en psychiatrie. Très contestée, cette disposition précise que cette pratique constitue un « dernier recours » (...) « pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée »(1). La jurisprudence disponible avait déjà délimité les conditions de sa validation. Ainsi, la Cour administrative d’appel de Nantes avait-elle mis en cause, en 1995, la responsabilité d’un établissement public de santé, parce que celui-ci n'avait pu assurer la protection d’un patient et de tiers, en refusant d'avoir recours à la contention. La Cour administrative d’appel de Douai avait, quant à elle, rappelé en 2006 que cette contention ne devait être réservée qu'aux seules personnes présentant un risque majeur d’atteinte à elles-même et aux autres. Dans un arrêt de 2007, la Cour administrative d’appel de Marseille précisait enfin que la contention ne devait être utilisée qu’en dernier recours, après avoir usé de parole, utilisé la pharmacopée et enfin l’isolement. Fortes de ces avis, la Haute autorité de santé, ainsi que l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé ont posé un certain nombre de préconisations éthiques aussi pour les personnes hors psychiatrie (âgée, en situation de handicap ou en protection de l’enfance). Ainsi, l’ANESM d'affirmer que « dans les situations d’urgence, il est nécessaire de contenir celui qui commet le passage à l’acte. L’acte de contenance sera réalisé dans un esprit non de domination mais d’apaisement, en évitant la brutalité, l’humiliation, l’érotisation. Cet acte de contenance est suivi d’une verbalisation et d’une réflexion. »

 

Les conditions d’une contention respectueuse

On trouve donc bien plus ce que ne doit pas être l’acte de contention, plus que ce qu’il doit être. Pour autant, l’accent mis sur le respect de la dignité humaine et la bienveillance constitue un cadre éthique excluant toute tentative de vengeance, de soumission forcée ou de rabaissement d'autrui. La mise hors d'état de nuire a pour ambition première la protection face à des comportements jugés dangereux. Accompagnés d'une parole rassurante et empathique, ces gestes cherchent à atténuer la tension et à pondérer l'agressivité. L'exceptionnalité de la contention justifie sans doute que chacune de ses utilisations fasse l'objet d’une reprise systématique non seulement de ce qui s'est joué, mais de ce qui aurait pu, en amont, potentiellement l'éviter. Le retour d'expérience semble là essentiel. A vouloir rechercher à tout prix la faute professionnelle, le risque est grand de noyer l'évènement dans une dispute stérile entre mise en accusation et justification. S'il ne s'agit pas de culpabiliser l'intervenant qui a eu recours à une contention, on ne saurait non plus banaliser ce type d'intervention qui ne peut devenir une posture systématique. L'élaboration d'un protocole sur la manière de réfléchir à ce qui s'est déroulé apparaît important, permettant ainsi de se montrer vigilant face à tout risque de " routinisation". Tout doit être mis en oeuvre pour comprendre les mécanismes ayant produit la dégradation de la situation et permettre autant que faire d'éviter la reproduction des circonstances qui y ont mené. Savoir comment agir en amont est essentiel à toute démarche de prévention. Les professionnels doivent être formés et préparés à la gestion de ces risques. Mais, même si l'éducateur n'est tenu qu'à une obligation de moyens, il ne peut rester insensible au résultat potentiel : quand un danger imminent et subit survient, la réactivité s'impose. L'intégrité des personnes présentes se décline tant à travers leur sécurité que de leur liberté qui, loin de s'opposer, doivent s'articuler.
 
(1) Art L. 3222-5-1 du Code de la santé publique (loi du 26 janvier 2016)
 


Les textes de référence
- Evaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé " limiter les risques de la contention de la personne âgée" A.N.A.E.S. (octobre 2000)
- Conférence de consensus " liberté d'aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux et obligation de soins et de sécurité" A.N.A.E.S. (24 novembre 2004)
- Recommandation de bonnes pratiques "la bientraitance : définitions et repères pour la mise en oeuvre" A.N.E.S.M. 2008 (p. 27 " intervenir en cas de violence pour contenir la personne qui l'exerce envers l'autre")
- Recommandation de bonnes pratique "conduites violentes dans les établissements accueillant des adolescents: préventions et réponse"A.N.E.S.M. 2008
- Note de cadrage de la Haute autorité de la santé: " place de la contention et de la chambre d'isolement en psychiatrie" juillet 2015
 
 
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1191 ■ 28/9/2016