Un film à ne pas rater

Le premier film de la réalisatrice allemande Nora Fingscheidt a emporté un vrai succès dans son pays, avec 600 000 entrées. Sa sortie en France prévue le 18 mars a été reportée au 22 juin. Il ne faut pas le rater, le nombre de salles le projetant donnant dans la rareté. Que penser de ce long métrage ? Mettant en scène les troubles du comportement particulièrement spectaculaires d’une enfant de 9 ans aux prises avec les services sociaux mis successivement en échec, reconnaissons-le : il est bluffant. Bien sûr, on pourra toujours ergoter, en affirmant que la protection de l'enfance ne se résume pas au portrait de cette petite fille, la problématique qui est la sienne ne dépassant pas 2 % des enfants pris en charge en France. On pourra aussi rappeler que les carences affectives précoces ne provoquent pas non plus toutes des manifestations aussi spectaculaires. Ce n’est d’ailleurs pas parce qu’elle se déplient à bas bruit qu’elles sont moins destructrices ! On pourra aussi gloser sur cette mère en grande difficulté que d’aucuns présenteront comme caricaturale. Heureusement, que tous les parents ne montrent pas tous une telle détresse. Sans oublier l’excellence du travail quotidien des professionnels de terrain qui ne se réduit pas à leurs revers systématiques qui traversent le film, de bout en bout. Mais, il faut le dire haut et fort : tout cela existe, bel et bien. Les professionnels de la protection de l’enfance ne rencontrent pas que cela, mais ils vivent aussi de telle situations ! Et c'est tout l’intérêt de ce film que de présenter ces problématiques, en tentant de les rendre un peu plus compréhensibles au spectateur candide. Les Maisons d’enfants à caractère social, les Foyers de l’enfance, les familles d’accueil, les ITEP (Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique) et les services de pédopsychiatrie y sont parfois confrontés. Tous ces enfants ne sont pas des clones de « Benni », loin s’en faut, même si certains lui ressemblent étrangement. Explosant d'une colère, d'une rage et d'une violence qui leur échappent, ces mômes sont en même temps très attachants, n'attendant qu'une chose, c'est d'être aimés. Cela le film le montre très bien. Espérons que sa mise en scène chasse le fantasme qu’il suffirait "d'une bonne claque" pour remettre les choses en place. Ce que déploient les professionnels sur le terrain, c’est au contraire, énormément de temps et d'énergie pour faire progresser l’enfant. De la bienveillance, de la patience et du contrôle de soi, ils en ont à revendre. Là aussi, le film rend hommage à cet investissement qui crève l’écran. Les personnages de ce film sont criants de vérité et d’authenticité. Helena Zengel est stupéfiante : comment cette petite fille réussit-elle à retransmettre ce que vit et fait vivre Benni ? L'assistante sociale de l’enfant, qui finit par s'effondrer, est tout à fait représentative de ces référents ASE qui suivent pendant des années les enfants qui leur sont confiés tout en se heurtant à un manque de places d'accueil … et qui craquent, parfois, eux aussi. Micha, simple aide à la vie scolaire sans formation, réagit avec ses tripes et apparaît comme une ressource incontournable. Il y en a beaucoup de cet acabit qui côtoient les professionnels qualifiés et diplômés, sans être toujours reconnus à leur juste valeur. Si on nous demande de plus en plus de remplir de la paperasse, de décliner un projet individualisé et de coter les actes accomplis en les reportant dans les tableaux SERAFIN-PH, on a aussi et surtout besoin d’être capable de gérer une crise et d’apaiser une colère là, tout de suite, maintenant. C’est ce savoir-faire et ce savoir-être s’exprimant au quotidien chez les professionnels de terrain qu’il faut préserver et transmettre aux nouvelles générations de travailleurs sociaux. On peut considérer Benni comme un concentré de différents profils de jeunes souffrant de troubles du comportement. Si nombre d’entre eux s’en sortent, réussissant grâce à leur famille et aux professionnels, certains ne cessent de trébucher. Comment faire face à ces personnalités complexes ? Sans doute pas les accueillir sur de gros collectifs dans lesquels le nombre d’éducateurs est réduit, par mesure d’économie. C’est le meilleur moyen de faire vivre à tout le monde une succession d’échecs. Il faut plutôt se tourner vers de très petites unités, un encadrement suffisamment étoffé, un quotidien source de sens et d’éprouvés renarcissisant, une approche innovante et renouvelée. C’est possible ! C’est ce que démontrent les séjours de rupture qui mettent en œuvre ces pratiques. Mais, il n’est pas obligatoire d’aller au bout du monde pour y avoir recours. Si Benni fuit, une fois de plus, le séjour de rupture au Kenya qui lui est proposé, elle réagit positivement au séjour sylvestre qu’elle vit aux côtés de Micha. Mais, ce n’est conçu que comme une parenthèse, là où cela pourrait être pensé d’une manière bien plus pérenne. Pour paraphraser le dicton « Si vous trouvez que l'éducation coûte cher, essayez l'ignorance », on pourrait dire : « vous trouvez ces dispositifs trop coûteux, vous préférez donc les dégâts à l’âge adulte de ces troubles non accompagnés dans l’enfance ? »