Le masque

« La vérité sort plus facilement de l’erreur que de la confusion » Francis Bacon

 Dans la file d’attente, ce jeune-homme est le seul à ne pas porter de masque. Le commerçant lui indique l’obligation imposée par la loi de se couvrir le visage. L’impétrant traite aussitôt le vendeur de menteur, affirmant que « le décret n’a pas encore été signé ». On ne peut donc l’y contraindre. Devant l’insistance à se plier à la consigne, il finit par lâcher son refus d’adopter « un geste de soumission ».

 Effet pervers du discours associant le voile islamique à la servitude : cacher son visage serait ainsi associé à un statut d’inférieur. Mais, l’atteinte à la virilité n’est pas la seule des motivations d’une telle hostilité : opposition à une mesure attentatoire à la liberté individuelle, rejet d’une consigne donnée par le « système », soupçons complotistes, allergie physique … Cette opposition est devenue pour les uns le signe du pire des égoïsmes (refuser de protéger autrui), pour les autres le symbole de la résistance à une nouvelle forme de tyrannie qui s’instillerait insidieusement. Les 20 000 manifestants du 1er août à Berlin en sont la preuve.

 On pourrait pourtant croire que le message de prévention est simple et élémentaire. Si ce n’est pas le cas pour un certain nombre de citoyens rebelles, constatons que cela ne l’est pas plus pour notre gouvernement dont les prises de positions sont incohérentes et contradictoires.

  Le 25 mars, Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement affirme « le président ne porte pas de masque, parce qu'il n'y en a pas besoin lorsqu'on respecte la distance de protection » … Ben voyons, quelques heures après, le ci-devant Président apparaissait dûment équipé !

 Le 22 juillet, Santé Publique France ose affirmer que la raison de la forte contamination du milieu médical au plus fort de l’épidémie : « 42% des soignants infectés contaminés réalisaient des visites à domicile à domicile sans masque » (Canard Enchainé 29 juillet). Et pour cause, la pénurie de masques n’avait pas permis de leur en fournir, eh ducon !

 Le 15 avril, le ministère du travail suspend Anthony Smith, cet inspecteur du travail qui avait exigé la mise à disposition de masques pour des salariées d’une association d'aide à domicile. Sa sanction vient d’être confirmée le 14 août, soit quatre jours avant que le même ministère du travail ne rende les masques obligatoires …  dans les entreprises. Malheur à celui qui a raison avant tout le monde !

 Pas de doute donc, le port de cette protection est dorénavant imposé dans les espaces publics et de travail clos. Et même à l’extérieur ! La contrainte se répand comme une trainée de poudre tout au long du mois d’août. La diffusion du virus en plein air est loin d’être démontrée. Mais qu’à cela ne tienne, principe de précaution oblige.

 Mais, c’était sans compter sur le ministère de l’Education nationale qui a publié un nouveau protocole sanitaire dit « allégé »pour la rentrée scolaire de septembre. Le 11 août, il annonçait gaillardement que masque est rendu à nouveau facultatif dans les espaces clos à l’école, « si la distance physique est respectée ».

 Récapitulons : le masque est indispensable à l’intérieur comme à l’extérieur, mais on sanctionne un inspecteur du travail qui a voulu faire appliquer cette consigne. Il faut le porter en entreprise, mais pas à l’école. Comprenne qui pourra !

 Certes, personne n’aurait aimé être à la place de nos gouvernants dans un contexte aussi aléatoire : prendre la moindre décision expose à des accusations soit d’un excès de précaution, soit d’imprudence. Mais, le degré d’incohérence que l’on peut constater est quand même impressionnant. L’une des causes est à mettre en relation avec l’(in)capacité d’introspection. Un retour sur expérience aurait permis de tirer des leçons des maladresses, manquements et méprises. Mais, loin de reconnaître leurs hésitations, leurs erreurs et leurs mauvais choix (potentiellement compréhensibles), nos dirigeants et hauts fonctionnaires s’enfoncent dans le cynisme, le déni et la tentative de mystification. Leur morgue et leur mépris les conduisent à proclamer, contre toute évidence, que tout a été bien géré, comme il le fallait … et continue à l’être ! Une telle attitude ne peut qu’être propice à la (re)production de nouvelles dérives. Face à la délégitimation induite par le spectacle affligeant de ce manque flagrant de lucidité et d’honnêteté, comment s’étonner que certains adoptent des postures très individualistes, au détriment de l’intérêt collectif face à la pandémie ?

 

Jacques Trémintin