Le pot de terre contre le pot de fer (3)

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Pourquoi le Conseil départemental de l’Orne a-t-il fermé le Petit Bois ?

La lecture du livre de Xavier Vannier avait incité la rédaction de Lien Social à consacrer un dossier à la place de l’affectif dans le travail social. Le reportage sur son lieu de vie le « Petit Bois » fut réalisé au mois de novembre.

Le 12 décembre, Xavier Vannier informait Lien Social de la lettre recommandée qu’il venait de recevoir de son Conseil départemental menaçant de suspendre son agrément, s’il ne signait pas un mandat de gestion avec une association d’ici au … 18 décembre.

Lien Social tenta alors de contacter la Directrice du service enfance du département de l’Orne, pour comprendre cette demande. Il fut renvoyé vers l’attachée de presse de la collectivité qui demanda que les questions soient formulées par écrit. Ce qui fut fait. Les réponses attendues ne vinrent jamais, remplacées par un communiqué de presse et l’arrêté de retrait d’agrément.

Ces deux documents ne font apparaître qu’un seul et unique problème : le statut juridique du Petit Bois. Les lieux de vie et d’accueil pouvant être représentés par une personne physique ou morale, ce qu’exige alors le Conseil départemental de l’Orne c’est bien le passage de l’un à l’autre.

Pour bien comprendre ce dont il est question, il faut apporter quelques précisions. Les Conseils départementaux sont en charge de la protection de l’enfance, depuis les lois de décentralisation de 1984 à 1986, ayant pris le relai des DDASS dépendantes du ministère des affaires sociales. Même si certaines structures d’accueil de mineurs appartiennent à la fonction publique territoriale, beaucoup sont constituées en association 1901. Elles ne peuvent exercer leur mission qu’après avoir obtenu un agrément qui certifie la qualité de leur prise en charge (conditions matérielles d’accueil, qualification des personnels etc …). On pourrait imaginer que ce soit une autorité tierce qui soit détentrice de ce pouvoir : le préfet, par exemple. Mais, non. Ce sont les Conseils départementaux qui accordent ces autorisations permettant un financement pour chaque mineur accueilli. Et c’est encore lui qui les retire. Cela le positionne comme juge et partie. Et, il ne se prive pas, en cas de conflit, d’euthanasier une structure. Toute proportion gardée, c’est un peu comme si une direction d’hôpital avait la compétence pour retirer son doctorat à un médecin qu’elle voulait licencier, lui interdisant ainsi de pratiquer ; comme si le ministre de l’économie avait le pouvoir de fermer une entreprise, en bannissant son propriétaire de toute activité industrielle ou commerciale ; comme si le ministre des collectivités locales avait autorité pour déchoir un Président de Conseil départemental en le frappant d’inéligibilité l’empêchant ainsi d’occuper tout poste électif. Seul l’Ordre des médecins dans le premier cas, le tribunal de commerce dans le second cas et le tribunal pénal dans le troisième peuvent sanctionner une personne. Ce sont des instances tierces non impliquées comme parties qui tranchent. Dans le cas qui nous concerne, le Président du Conseil départemental de l’Orne a pris sa décision, en s’appuyant sur la compétence que lui accorde la loi. Certes, le Tribunal administratif a été saisi par les avocats du Petit Bois. Mais, les délais imposés par cette juridiction ne peuvent que mettre à mal une structure qui, dans l’attente, se voit privée de tout financement.

Lien Social, ne pouvant imaginer que l’on compromette l’évolution des sept adolescents du lieu de vie, à cause d’un simple contentieux réglementaire, a cherché à savoir s’il n’y avait pas d’autres raisons. Il a transmis des questions manifestement suffisamment gênantes, pour qu’elles bloquent toute réponse. Les voilà.

Pourquoi le département a-t-il procédé, en 2015 et en 2018, à deux premiers retraits d’agrément et surtout pour quelle raison il les avait rétablis ? Toute proportion gardée, on peut comparer ces sanctions au licenciement d’un salarié pour faute grave. Dès lors où l’employeur non seulement renonce à cette procédure, mais réintègre le salarié à son poste de travail, on peut émettre l’hypothèse que les causes de la sanction ont été invalidées. Les reproches faits au Petit Bois ont-ils été annulés ? Le Conseil départemental de l’Oise a choisi de ne pas répondre.

Est-il vrai que l’origine du conflit viendrait en fait de la relation affective forte avec Morgan, comme le décrit notre reportage ? Le Conseil départemental de l’Oise a choisi de ne pas répondre.

La publication du livre témoignage de Xavier Vannier « Comme un père » a-t-elle pesé dans la décision ? Le Conseil départemental de l’Oise a choisi de ne pas répondre.

Comment interpréter ce silence envahissant ? Le Conseil départemental de l’Orne a-t-il quelque chose à se reprocher ? Se sent-il en difficulté dans cette affaire ? Considère-t-il qu’il n’a pas à s’expliquer ? Possède-t-il des éléments compromettants sur le lieu de vie ? Mais alors, pourquoi lui avoir rétabli sa confiance par deux fois ?

On ne peut qu’être stupéfait de la désinvolture avec laquelle le sort des adolescents du Petit Bois est géré. Dans son communiqué de presse, le Conseil départemental de l’Orne proclame « tout mettre en œuvre dans l’intérêt des jeunes et leur mieux-être », sans expliquer toutefois en quoi la réorientation brutale de ces jeunes répond à leur intérêt !

Il n’y a d’autre choix que d’émettre des conjectures qui resteront à l’état de questions ouvertes tant que le Conseil départemental de l’Orne fera le choix du silence. Trois acteurs de la protection de l’enfance confrontés au dossier que nous leur avons soumis réagissent dans les encadrés.

 

Illégalité

« Un département n'a pas à imposer un mode de gestion, au nom de l'article L313.4 du CASF qui ne s'applique pas aux lieux de vie et d’accueil. Il serait souhaitable que lorsqu'il y a conflit, il s'en tienne à l'objet du conflit exprimé clairement et ne cherche pas, par des biais plus ou moins légaux, à le régler en menaçant de fermeture administrative. »

Christian Borie, Président de la FNVL

 

Incompétence

« Je suis pour ma part plutôt "du côté" de l'institutionnalisation des pratiques éducatives. Cela veut dire des pratiques référées et qui peuvent être interpellées au quotidien et collégialement. En cela, les lieux de vie me gênent car souvent ultra incarnés par un personnage charismatique qui surjoue la part du relationnel. Pour autant, le mur auquel se heurte ce lieu de vie est la caricature d'un échange qui ne peut plus avoir lieu avec certains services de département, devenus objectivement incompétents sur la question éducative. Question première en protection de l'enfance et qui ne peut souvent plus être portée par des professionnels dont les cadres très insuffisamment formés à ces questions de « clinique du quotidien » comme le nommait le rapport sénatorial Dini-Meunier qui préfigurait la loi Protection de l’enfance de 2016. »

Un directeur d'association intervenant en protection de l'enfance

 

Gâchis

« Si la magie relationnelle n’existe pas, les conditions de la réussite sont connues. Accompagner nécessite engagement et sincérité. La proximité est nécessaire tout comme un lien affectif qui unit sans aliéner les liens futurs. Les lieux de vie sont largement inspirés des valeurs de l’éducation spécialisée. Xavier Vannier fait partie de ces artisans de l’inconditionnalité. Il montre que l’art d’éduquer ne se dissout pas dans des règles bureaucratiques rigides. Il accompagne avec force et conviction. La machine administrative forte de son pouvoir le convoque à rentrer dans le rang. Quel dommage d’en arriver là ! »

Jean-Luc Boero, responsable d’unité ASE

 

Lire les articles précédents :
Le pot de terre contre le pot de fer (1)
Le pot de terre contre le pot de fer (2)

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1287 ■ 19/01/2021