De la radicalisation au terrorisme : Focus sur l’islamisme

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Si les suprématistes blancs et les islamophobes extrémistes commettent aussi des attentats meurtriers, les islamistes sont parmi les plus acharnés des fanatiques à perpétrer des actes terroristes dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes.

Les terroristes islamistes se donnent pour projet d’imposer par l’ultra-violence leur modèle politique de société. Ce qu’ils ont déjà appliqué sous le régime des Talibans en Afghanistan et plus récemment celui de DAESH : légalisation de l’esclavage, interdiction de la musique, du sport, des livres (autres que le Coran) ; crucifixion ou décapitation des opposants ; soumission des femmes privées de toute scolarité ; embrigadement des enfants entraînés à tuer... Après que le Califat du Levant ait perdu le combat militaire, les réseaux de la mouvance terroriste se retournent vers de nouveaux objectifs que décrit le chercheur Hugo Micheron (1) : investir les quartiers en y infusant les règles et normes de la charia, étendre leur influence en attirant de nouveaux sympathisants et de militants, à salafiser l'islam pour ensuite djihadiser le salafisme.

Reste à comprendre comment une jeunesse éduquée aux idéaux démocratiques fondés sur la liberté choisissent un retour au patriarcat traditionnel et à un Dieu inflexible et intransigeant. Il leur est proposé un idéal pacifique, la libération sexuelle, l’égalité des genres, l’autonomie du sujet et la suprématie du peuple et la sécularisation. Et ils leur préfèrent la violence absolue, la morale puritaine, la dissymétrie homme/femme, la primauté des valeurs sacrées et des lois divines (2).

Deux éminents spécialistes de l’islam proposent une lecture qui se veut exclusive l’une de l’autre. D’un côté, Gilles Kepel affirme que l’islamisme serait le produit de la radicalisation de la religion islamique, confession qui contiendrait en elle tous les ferments du fanatisme. De l’autre côté, Olivier Roy défend l’idée d’une islamisation de la radicalité : de tous temps, une fraction de la jeunesse a été happée par des causes politiques extrêmes, l’intégrisme musulman en étant la version contemporaine. Plutôt que de choisir une explication contre l’autre, il serait sans doute pertinent de les combiner : si toutes les religions/idéologies peuvent engendrer du fanatisme, il est des réalités politiques, sociales et psychologiques qui peuvent aussi le favoriser.

Les racines du retournement

Ainsi, le psychiatre Daniel Marcelli souligne les effets inhérents au changement de modèle social. Autrefois, chacun avait devant lui un chemin tout tracé qu’il était contraint de suivre. Aujourd’hui, on nous dit que l’on peut choisir l’avenir que l’on veut (1). Pourtant, les déterminismes sociaux continuent à peser, provoquant une forte frustration face à l’impossible réalisation de soi et l’immense vide existentiel qui s’ensuit. Coincé entre une quête de sens qui s’échoue sur la relégation spatiale, la précarité économique, le vécu de discriminations et d’injustices et la perspective de désaffiliation et de déclassement, les plus influençables peuvent se laisser séduire par un contre système de pensée proposant des messages clivants entre le vrai et le faux, le pur et l’impur, le bien et le mal, eux et nous (2).

Le profond ressentiment nourri au cœur des quartiers ghettos constituerait donc un terreau fertile sur lequel s’épanouit un intégrisme qui, surfant sur les vagues de l’amertume, de l’humiliation et des inégalités, offre une opportunité séduisante : inverser le stigmate, en transformant le mépris de soi en mépris de l’autre (3). Des jeunes désaffiliés vivant un sentiment de profonde indignité et d’insignifiance transformeraient donc l’humiliation ressentie et/ou vécu en vengeance contre une société dont il se sent rejeté et dont il veut se venger. Face au terrorisme, on mesure combien il apparaît essentiel de ne pas se laisser enfermer dans l’émotion et de s’émanciper du leurre d’une explication unique. Cette nécessaire distanciation est tout aussi importante dans la posture à privilégier pour le combattre au mieux.

 

(1) « Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons », Ed. Gallimard, 2020 (416 p. - 22 €)

(2) « L’idéal et la cruauté. Subjectivité et politique de la radicalité » Fehti Benslama et all, Ed. Lignes, 2015, (200 p. – 20 €)

(3) « Avoir la rage. Du besoin de créer à l’envie de détruire » Daniel Marcelli, Ed. Albin Michel, 2016, (291 p. – 19,50 €)

(4) « Adolescents en quête de sens. Parents et professionnels face aux engagements radicaux » Sous la direction de Daniel Marcelli avec Anne Lanchon, Ed. L’école des parents/érès, 2016, (210 p. – 16 €)

 

 

 

Déchiffrer pour mieux riposter

Manuel Valls, alors premier ministre, affirmait en 2016 qu’ « Expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser ». Se contenter de traiter les actes terroristes islamistes de barbares et d’en appeler aux représailles apaisent certes notre légitime colère. Mais, cela ne permet nullement de comprendre. Et quand les chercheurs tentent de déchiffrer les mécanismes de l’islamisme, leurs analyses ont pour objectifs de savoir comment mieux le combattre et non de le justifier.

 

A suivre le 31 août : De la radicalisation au terrorisme : Quelles attitudes adopter face à la radicalisation ?