L’aller-vers, en mode médicosocial

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Les SESSAD ont connu, ces dernières années, une croissance insolente. La source de ce succès est à relier à la conjugaison de deux ambitions contemporaines : la pluridisciplinarité et le hors-les-murs.

Pour être un dispositif original au sein de l’action sociale, les services qui ont adopté le nom générique Sessad (Service d'éducation spéciale et de soins à domicile) prennent leur place dans une longue tradition. Bien sûr, l’enfermement des plus fragiles a longtemps dominé à l’image de ces hospices, dépôts de mendicité, asiles et autres orphelinats dont certains émergèrent dès le moyen-âge et perdurèrent jusqu’à peu. Les premières initiatives d’une démarche hors-les-murs, alors même que le travail social est encore dans les limbes, prirent la forme en 1896 de ces « résidences sociales », héritières des « settlement houses » nées dix ans auparavant, en Angleterre. Adoptant le nom de « travailleuses sociales », des femmes issues de la bourgeoisie s’implantèrent alors dans les quartiers ouvriers pour y mener des actions d’éducation populaire. Cinquante ans plus tard, c’est au tour des clubs et équipes de prévention d’après-guerre de travailler avec un public de jeunes délinquants non captifs des établissements dits de rééducation, fermés et isolés. Dans les dernières décennies du 20ème siècle, l’aggravation de la précarité sociale provoque une impulsion essentielle : ce n’est plus seulement à l’usager de s’adresser aux différentes institutions pour l’accompagner dans ses difficultés, certaines d’entre elles faisant le choix du cheminement inverse. Emergent alors de nombreuses interventions fondées sur « l’aller vers » : les maraudes du SAMU social, les équipes mobiles psychiatrie/précarité, les équipes de liaison et de soins en addictologie, la médiation sociale, voire même tout récemment les vingt-trois expérimentations lancées en 2019 d’Etablissements d’hébergement pour personne âgées dépendante à domicile. 

 

Genèse

La création des SESSAD s’inscrit dans ce mouvement de fond de retour vers le milieu naturel. La démarche est simple : plutôt que de regrouper les enfants, les adolescents et les jeunes adultes porteurs de handicap dans des instituts dédiés à la prise en charge de leur déficience, mieux vaut privilégier des prestations médico-sociales sur place, permettant de les garder dans leur famille et les établissements scolaires qui en sont proches. Les annexes XXIV (rédigées en 1956 pour définir les modalités de fonctionnement des établissements et services pour personnes handicapées) permettaient déjà des accompagnements en externat (1). Mais, la culture dominante favorisait encore largement les internats. Il faudra attendre 1966 pour que le premier service de soins à domicile naisse, à l’initiative de l’Association des Paralysés de France. Le décret du 16 décembre 1970 dote cette approche nouvelle d’une dénomination légale : ce sera le statut des SSESD (Services de Soins et d’Éducation Spécialisée à Domicile), l’acronyme générique de SESSAD finissant par s’imposer (voir encadré). La notion de domicile n’implique pas une intervention spécifique au sein des familles, mais plutôt dans son environnement de proximité. Si la loi Haby, datant de 1975, faisait déjà obligation à l’Education nationale d’ouvrir des classes aux enfants porteurs de handicap, celle du 11 février 2005 renforce encore leur droit à une scolarisation en milieu ordinaire, avec un parcours continu et adapté, dans l’établissement le plus proche du domicile familial. L’accompagnement de cette inclusion scolaire va devenir le cœur de métier des SESSAD qui se situent à l’interface entre l’école et le handicap, en soutien tant de l’enfant que de sa famille. Si la décennie 1970 fut marquée par l’éclosion d’une multitude d’instituts pour enfants porteurs de handicaps, dont on a pu dire qu’il en sortait un de terre chaque semaine, on assite depuis trente ans à une véritable explosion du nombre de places en SESSAD. On est ainsi passé de 4 953 enfant suivis en 1985, à 53 771 en 2020. Sur les 2 450 services en fonctionnement en 2020, 654 d’entre eux ont été créés depuis janvier 2018 (+ 36 %).

 

Un fonctionnement atypique

La marque de fabrique des SESSAD, c’est avant tout son équipe pluridisciplinaire composée de professionnels intervenants sur de multiples de champs différents : l’éducatif (autonomie, relations aux autres, déplacement en transport en commun…), le social (accès aux droits, relations avec la Maison départementale des personnes handicapées, organisation des transports, recherche de financements pour l’acquisition d’un matériel adapté …), la pédagogie (apprentissage adaptée, remédiations scolaire, intégration dans la classe …), la psychologie (restauration de l’estime de soi, verbalisation des angoisses, enjeux de séparation …), le médical (prévention, dépistage, diagnostic, soins des affections …) , le paramédical (rééducation du langage oral et écrit, de la motricité globale et fine, du repérage spatial et temporel …) (2). C’est donc une multitudes de spécialisation qui se côtoient, selon les déficiences accompagnées : des médecins Somaticiens, de rééducation fonctionnelle et des pédopsychiatres ; des psychologues, des neuropsychologues et des thérapeutes ; des psychomotriciens et des orthophonistes, des kinésithérapeutes et des ergothérapeutes, des orthoptistes et des intervenants en braille, des professeurs maîtrisant la langue des signes et des codeurs, des éducateurs spécialisés et des assistantes sociales, des enseignants titulaires d’un certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'école inclusive (CAPPEI) ... Tous ces intervenants qui travaillent sur un registre spécifique et une culture propre, se doivent de trouver un langage commun et de s’entendre sur les concepts utilisés pour construire ensemble une démarche globale à l’égard d’un enfant et de sa famille. Quadrature du cercle qui constitue un enjeu d’autant plus complexe à relever que, loin de se retrouver en permanence dans un même bâtiment, les interventions de tous ces professionnels se succèdent, se croisent, s’articulent « hors-les-murs », au plus proche du lieu de scolarisation de l’élève, au cours de séances individuelles ou de groupe.

 

Fécondité dans la diversité

La crainte est bien que toutes ces disciplines entrent potentiellement en conflictualité. Mais, loin d’être une entrave, cette confrontation est l’occasion donnée à chacun de se montrer « humble et créatif » et de limiter « la possible expressivité de la toute-puissance individuelle. Confronté au regard des autres, chaque professionnel se retrouve à un moment ou à un autre dans une situation de remise en question, certes délicate, mais qui n’en demeure pas moins nécessaire pour faire évoluer sa posture » commente Thomas Viltard. Et de conclure que si le travail sur son seul référentiel permet d’aller plus vite, « le travail en équipe pluridisciplinaire permet d’aller plus loin dans la compréhension d’une situation, malgré les difficultés rencontrées pour accorder les points-de-vue » (2) A ces nécessaires souplesse et flexibilité entre intervenants se rajoutent les indispensables adaptabilités et ajustements aux besoins singuliers de chaque enfant et aux exigences particulières à chaque établissement scolaire. Ce qui explique sans doute la diversité des pratiques mises en œuvre, la multitude des combinaisons adoptées et la palette infinie des modalités de fonctionnement plus autonome pour certains SESSAD ou comme partie prenante d’un plateau technique plus vaste, selon qu’ils sont directement rattachés ou pas à un établissement. Une des seules constantes que l’on peut retenir, c’est bien qu’ils répondent à des besoins et non à des attentes ; leur intervention étant précédée d’une évaluation et déterminée par une notification de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées). Un projet individualisé est alors élaboré en étroite collaboration avec les parents, dont la place reste centrale dans le développement des capacités de socialisation, d’autonomie, d’intégration et d’insertion de leur enfant.

L’agir pluridisciplinaire (3) au cœur de l’action sociale ? Beaucoup l’attendent et la souhaitent. D’autres ont commencé à la mettre en œuvre et à la promouvoir. Cela fait cinquante ans que les SESSAD l’ont concrétisé.

 

(1) les annexes XXIV seront réécrites en 1989

(3) Les SESSAD, un service d’éducation et de soins tourné vers l’avenir Thomas Viltard, Éd. érès, 2021

(4) L’agir pluridisciplinaire , Collectif, Éd. L’Harmattan, 2021

 

De la classe de perfectionnement aux ULIS

Les Classes de perfectionnement ont été créées en 1909 pour scolariser les enfants que l’on désignait alors comme « mentalement anormaux » ou « arriérés » (à partir d’un test de QI compris entre 70 et 80).

Elles ont été remplacées en 1991 par des CLasses d'Intégration Scolaire (CLIS), accueillant des enfants porteurs d’un handicap reconnus par une notification de la Commission Départementale de l'Éducation Spéciale (CDES) jusqu’en 2005, puis après cette date par la Maison départementale des personnes handicapées.

Les CLIS vont à leur tour céder la place, en 2015, aux Unités Localisées d’Inclusion Scolaire (ULIS-école, ULIS-collège, ULIS-lycée). Ces classes s’inscrivent dans une logique différente puisqu’elles relèvent du registre de dispositif. Leur vocation n’est pas de scolariser leurs douze élèves sur un temps plein, mais d’organiser pour chacun d’entre eux un suivi pédagogique adapté à ses besoins spécifiques identifiés dans un Plan d’accompagnement Personnalisé. L’enseignant coordonnateur, qui en est le maître d’œuvre, élabore pour chaque enfant un emploi du temps où sont articulés ses temps d’enseignement programmés avec sa classe de référence et les espaces de soin nécessitant une prise en charge spécialisée.

 

 

POURQUOI FAIRE SIMPLE … QUAND ON PEUT FAIRE COMPLIQUE !

Les services de soins à domicile ont pris des dénominations différentes selon la déficience accompagnée. Cette galaxie se décline en autant d’acronymes qu’il y a de handicap :

--Les SESSAD-DI (Déficience Intellectuelle) ou TFC (Troubles des Fonctions Cognitives) interviennent sur les problématiques de la déficience intellectuelle.

--Les SESSAD-IMC (Infirmité Cérébrale Motrice) ou Moteur ou SESSD (service d'éducation et de soins spécialisés à domicile) interviennent sur les problématiques la déficience motrice.

--Les SESSAD-TED (Troubles envahissant du Développement) ou TSA (Trouble du Spectre Autistique) interviennent sur les problématiques de nature autistiques.

--Les SESSAD-TCC (Troubles de la Conduite et du Comportement) interviennent sur les problématiques d’hyperactivité ou d'ordre psychologique et/ou psychiatrique

--SSEFIS (service de soutien à l’éducation familiale et à l'intégration scolaire) interviennent sur les problématiques de déficience auditive

--Les SSAD (service de soins spécialisés à domicile) : interviennent sur les problématiques du polyhandicap.

--Les SAAAIS (service d'aide à l'acquisition de l'autonomie et à l'intégration scolaire) interviennent sur les problématiques de déficience visuelle.

--Les SAFEP (Service d'accompagnement familial et d'éducation précoce) interviennent sur les problématiques déficience sensorielle d’enfants de 0 à 3 ans.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1316 ■ 19/04/2022

 

A suivre le 9 août : Reportage sur le Un SSEFS en action