L’exception qui confirme la règle

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L’UNICEF- France est une association admirable, luttant depuis longtemps pour les droits humains en général et les droits de l’enfant en particulier. En cela, il faut lui rendre hommage. Mais cela ne doit pas interdire de critiquer certaines de ses prises de position, à l’image de sa charte additionnelle pour la protection de l’enfance.

J’avais déjà eu l’occasion de m’offusquer, en prenant connaissance d’une infographie publiée par l’UNICEF en 2015, répercutant l’infox selon laquelle « 80% des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance le sont pour des raisons de pauvreté ». Mon pote Didier a fait état dans son blog, le 20 juin dernier d’une « charte éthique » que la même UNICEF enjoignait de suivre à chacun de ses salariés ou bénévole engagé dans la protection de l’enfance. J’ai, à cette occasion, eu l’occasion de constater qu’à nouveau des préconisations des plus curieuses y apparaissaient.  Que l’on ne se trompe pas. Je considère l’UNICEF-France comme un ONG essentielle dans notre paysage associatif, incontournable dans la défense et la promotion de la protection de l’enfance. Son action est inestimable et précieuse. Son expertise est indispensable et ses prises de position sont courageuses et sans concession face aux autorités en place. Mais ce n’est pas parce qu’on mène un combat exemplaire que l’on ne peut pas pour autant dire ponctuellement de grosses bêtises. Et les relever ne signifie pas déconsidérer le reste de l’action menée. Un arbre défectueux ne peut cacher toute une forêt qui pousse. En ces temps où la nuance a peu de place, il est utile de la réhabiliter.

Que dit cette charte ? https://www.unicef.fr/qui-sommes-nous/dispositifs-internes-de-protection-de-lenfance/  Elle promeut beaucoup de principes qui ne peuvent qu’entrainer l’adhésion : le respect des droits de l’enfant, des différences et de la protection des données. L’imprécision commence avec la notion du rejet de toute discrimination. S’il faut proscrire celles qui sont négatives, celles qui sont positives doivent être promues : une attention particulière donnée à un enfant porteur de handicap dans un groupe d'enfants valides par exemple, une aide aux devoirs plus intensive envers un enfant en échec scolaire alors que ses pairs ne le sont pas, une approche différenciée temporaires à l'égard d'enfants traversant des épreuves éprouvantes.

Il en va de même pour la défense de l’intérêt de l’enfant dont on ne sait pas de quoi il s’agit : « Travailler de façon à respecter les droits des enfants en plaçant leur intérêt au-dessus de toute autre considération » Ce mot-valise peut aussi bien être utilisé par les opposants à l’avortement que par ceux qui luttent contre le travail forcé qui est imposé à trop d’enfants, dans certains pays. Ça va sans dire, affirme le proverbe, mais c’est encore mieux en disant … de quoi l’on parle, en identifiant même succinctement quels sont ces besoins.

Et puis, il est possible que l’intérêt de l’enfant soit en contradiction avec ses droits.

Droit à établir des relations avec ses parents ? Il peut être nécessaire de censurer des contacts téléphoniques avec eux, quand la maltraitance se perpétue au travers de ces échanges. Doit-on renoncer à attenter à sa liberté de communication ?

Droit de correspondance ? Il peut être nécessaire d’intercepter un paquet suspect arrivant au foyer à son nom que l'on soupçonne de contenir potentiellement des produits illicites. Doit-on renoncer à attenter à sa liberté de correspondance ?

Droit à l’intimité ? Il peut être nécessaire de fouiller les affaires personnelles d’un enfant soupçonné de cacher une arme dans son armoire. Doit-on renoncer à attenter à son droit à l’intimité ?

Que cela se fasse avec l’autorisation du juge des enfants et en la présence de l’enfant, il n’empêche que dans ces trois situations ses droits ne sont pas respectés. Justement dans son intérêt. Que fait-on, si « toute personne agissant pour le compte d’UNICEF France doit se conformer aux principes de la charte éthique » et qu’elle est confrontée à de telles situations ?

Puis vient une affirmation bien dilatoire : « Adopter un comportement approprié en toute circonstance ». Après une annonce de si bonne intention, il suffit juste ensuite de définir en quoi consiste ce « comportement approprié ». Le travail social n'est fait que de bricolage et de pari sur l'avenir, d’avancée et de recul, de tentatives et d'amorce. Un comportement approprié s’évalue souvent après coup, quand on mesure son adéquation. Chaque professionnel peut diverger quant au fait que tel acte l’était ou non. Il fait ce qu'il peut, en essayant d'éviter de nuire. Dès lors, cette proclamation relève plutôt d'un truisme n’apportant pas grand-chose, sauf à contrer un intervenant qui voudrait consciemment agir d’une manière inadaptée, juste pour le plaisir de faire mal !

Jusqu’à présent, je pourrais être accusé de pinailler. Les préceptes qui suivent sont quant à eux des plus stupéfiants.

« Ne pas rester seul avec un enfant sans la présence d’un tiers de confiance – enseignant, animateur, éducateur, parent » Quel est le présupposé de ce principe ? Serait-ce par hasard que tout professionnel ou bénévole serait un pédophile en puissance ? Va-t-on dériver vers cette pratique en vogue aux USA où, selon la rumeur, tout entretien entre un homme et une femme se déroule la porte systématiquement ouverte, pour éviter toute accusation d’agression sexuelle ? Selon la règle édictée par la charte de l’UNICEF, il n’y aurait donc jamais plus d’échange en tête-à-tête, un tiers étant toujours et systématiquement présent. L’enfant mis en confiance par une relation d’aide duelle et décidant, dans ce cadre, de confier ce qu’il subit devra dorénavant s’accommoder de la présence systématique d’un second adulte. C’est l’un des fondements du travail social (celui du confident nécessaire et d’individualisation possible de l’accompagnement) qui est remis en cause au profit de la défiance généralisée.

Terminons par le pire : « Ne pas initier de contact physique lors d’interaction avec les enfants »

Ah bon ? Un enfant tombe dans la cour et se fait très mal et je ne l’aide pas à se relever ? Un autre s’en prend physiquement à l’un de ses pairs et je ne le ceinture pas ? Un autre encore s’effondre en pleurs et je ne le prends pas dans mes bras pour le consoler ? Il n’y aurait donc pas de « contact physique » chaste ? Tous ne seraient que pervers ? Un groupe de professionnels de l’ICEM Freinet réagissait déjà en juin 2001, en publiant une lettre fictivement adressée à un juge des enfants. Il y précise les conditions dans lesquelles un « contact physique » peut aussi se montrer chaleureux, rassurant et réconfortant.

« Je suis enseignant, éducateur, animateur, je touche des enfants et des enfants me touchent. Le pire, c'est que je n'en ai aucune honte. J'ai touché des enfants et je les touche encore. J'ai passé ma main dans leurs cheveux ou le long de leur dos quand ils ont réussi quelque chose de difficile pour eux. Je le fais toujours. J'ai pris leur bras, et je le fais toujours, et je pose ma main sur leur épaule pour les faire asseoir, parce qu'ils s'éparpillent en déplacements inutiles. Ma main d'adulte peut se faire lourde ou légère, sur leur épaule d'enfant, pour qu'ils se stabilisent ... J'ai pris la main de certains d'entre eux pour les aider à écrire sur la ligne. J'en ai pris sous le menton, pour me regarder dans les yeux, certaines fois... J'en ai pris d'autres par l'épaule, et je les ai serrés contre moi, contre mon corps d'adulte, parce que leur chien (ou leur grand-père) était mort. J'en ai maîtrisé d'autres physiquement, pieds et mains immobilisés contre moi, parce qu'ils avaient pété les plombs. J'en ai empêché d'autres de se faire du mal à eux-mêmes. J'en ai pris dans mes bras, ses bras à lui autour de mon cou et mon bras à moi autour de ses fesses, pour monter dans le bus, s'installer dans un canoë ou faire de l'escalade, parce que dans la vie courante, il circulait en classe en fauteuil roulant.  J'en ai pris des dizaines, par les mains, par le cou, par la taille, ou pelotonnés dans mes bras, au cours des multiples séances de piscine où j'étais le médiateur entre le connu et l'inconnu de l'eau. Oui, je touche les enfants, et pour certains, sans doute plus que leurs parents. Je touche les enfants car je suis aussi infirmier, pour une écorchure, une dent qui tremble ou un mal de ventre.  J'avoue que je touche les enfants, Monsieur le Juge. Quand ils vont bien, quand ils vont mal, quand ils sont malades.

Mais je dois dire aussi que les enfants me touchent !! Pendant les sorties, quand les plus petits ne quittent pas ma main, en classe, quand ils m'agrippent pour que je m'occupe d'eux, à chaque moment de la journée, en classe ou à la récré, pour me prouver qu'ils existent. " Les enfants me touchent, Monsieur le Juge ..." (https://www.icem-pedagogie-freinet.org/book/export/html/11757)

Les grandes déclarations de principe sont parfois importantes. A condition de ne pas devenir des dogmes hors-sol et paralysants.

Rappelons-le, l’UNICEF est une farouche combattante pour les droits de l’enfant. Elle justifie notre admiration et notre reconnaissance. Cela ne doit pas l’empêcher de réviser un texte datant de 2018, conçu dans une période de panique morale qui est loin d’avoir pris fin. Cette charte est sans doute une belle illustration du proverbe « le mieux est l’ennemi du bien »