Entre transmission et construction du savoir, la pédagogie en question

Qu’est-ce qui distingue la pédagogie traditionnelle des pratiques alternatives ? En quoi s’opposent-elles ? Qu’ont-elles d’innovantes ? Quelles sont leurs limites ? Essayons d’y voir un peu plus clair.

L’étymologie du terme pédagogie vient du grec ancien paidagogós, composé de paidos (enfant) et de gogía (mener ou conduire). Ce mot désignait l'esclave chargé d’amener les enfants à l'école ! « Se tenir aux côtés de », « accompagner », « conduire », « guider » … autant de sens qui, pour sembler synonymes, proposent des postures différentes. S’agit-il de surveiller l’enfant, lui qui pourrait faire l’école buissonnière ou de le protéger d’éventuelles mauvaises rencontres susceptibles de l’en détourner ? Ou bien de le rassurer, de l’aider et de l’encourager pour conforter son envie d’apprendre ? On voit déjà poindre dans cette polysémie deux conceptions des relations de l’adulte à l’enfant, que ce soit dans les rapports enseignant/élève, parent/enfant, animateurs/mineurs.

De l’enfant passif …

La pédagogie traditionnelle considère que le petit d’Homme est trop immature, impulsif et indocile pour cheminer par lui-même. Il faut donc user de contraintes et de prescriptions pour le faire progresser et grandir selon les normes. La distinction entre l’adulte et l’enfant est ici nettement délimitée par une stricte asymétrie. Le premier, censé maîtriser le savoir, a pour mission de le transmettre, comme le fait une source qui assouvit la soif. Le second, censé être vide de connaissances, en est réduit à une posture de mimétisme : il est là pour ingurgiter ce qu’on lui inculque et le reproduire ensuite, comme le fait une éponge absorbant l’eau et la dégorgeant quand on la presse. L’esprit de l’enfant est considéré comme une boite vide qu’il faut remplir, comme une mémoire vierge que l’on imprègne ou encore comme une cire molle et malléable que l’on malaxe pour lui donner la bonne forme. Une version extrémiste de cette approche se manifeste à travers la pédagogie noire (1) qui considère l’enfant comme doté d’une nature mauvaise. Il faut donc lui imposer un redressement et un reconditionnement prétendument salvateurs, en brisant sa volonté par l’obéissance, la soumission et l’assujétissement à la volonté d’un adulte, n’hésitant pas à faire usage de la violence pour y parvenir.

… à l’enfant acteur

Qu’on les qualifie de « nouvelles », « actives », « de la liberté », « de projet », « de la décision » … les pédagogies alternatives se fondent sur une toute autre conception : l’enfant possède en lui des capacités potentielles, susceptibles de lui permettre d’acquérir les savoirs et de gagner en maturité. Encore faut-il qu’on lui donne les moyens de les développer, plutôt que de les bloquer comme la pédagogie traditionnelle est accusée de le faire. Favoriser le déploiement de ses compétences en devenir et stimuler son épanouissement passent par toute une série de postures. Respecter son rythme d’apprentissage, accroître son autonomie, amplifier sa créativité, privilégier sa propre expérimentation, le responsabiliser dans ses apprentissages, développer la coopération et l’entraide, encourager l’autodiscipline… autant de pratiques cherchant à renforcer l’estime de soi et la confiance en soi d’un enfant qui peut alors donner la pleine mesure de ses dispositions. Cette conception s’inspire de la maïeutique de Socrate qui affirmait déjà, il y a 2 400 ans, qu’apprendre consistait à se rappeler ce que notre « âme immortelle et plusieurs fois renaissante, ayant contemplé toutes choses (…) ne peut manquer d'avoir tout appris (…) Ainsi, il n'est donc pas surprenant qu'elle ait, sur la vertu et sur le reste, des souvenirs de ce qu'elle en a su précédemment. (...) La recherche et le savoir ne sont, au total, que réminiscence » (2). Conviction que l’on retrouve dans le postulat affirmant : « seul l’enfant sait ce qui est bien pour lui ». Avec le risque de faire peser sur lui la lourde responsabilité de tout savoir et de tout connaître, à charge pour lui, d’aller les trouver au plus profond de lui ?

(1) concept créé par Katharina Rutschky et repris par la psychologue Alice Miller

(2) Platon, Le Ménon

 
(publié dans le Journal de l’animation n°208 – avril 2020)